Le document du Saint Siège à propos du pèlerinage

Prof. Dr. Adalbert Rebić, 1999

Le 25 avril 1998, le Conseil pontifical pour la pastorale des migrants a publié le document sur « Le pèlerinage du Grand jubilé de l’an 2000 ». Le titre même du document exprime la motivation de sa publication : le Grand Jubilé de 2000 ans depuis la naissance du Christ. « Le but fondamental du pèlerinage historique actuel de l’Église est le Grand jubilé de l’an 2000, que le croyant approche sous la protection de la Sainte Trinité. »[1] Les nombreux pèlerinages, principalement vers la Terre Sainte (Jérusalem et Bethléem) et Rome, seront organisés afin de contribuer à l’approfondissement de la vie spirituelle et à la fécondité de la pastorale.

Le pèlerinage a toujours occupé une place importante dans la vie des chrétiens et des croyants en général. « Tout au long de l’histoire, les chrétiens se mettaient en route pour célébrer leur foi dans les endroits qui gardent le souvenir du Seigneur ou ceux qui représentent les instants importants de l’histoire de l’Église. Ils ont visité les lieux où la Mère de Dieu est vénérée ou ceux qui rappellent les exemples vivants des saints. Leur pèlerinage représente une démarche de conversion, une expression de leur désir de l’intimité de Dieu, une prière confiante concernant leurs besoins matériels. Par de multiples aspects, le pèlerinage a toujours été pour l’Église un merveilleux don de Dieu. »[2] Les pèlerinages sont actuellement une forme de dévotion très recherchée. La société contemporaine est fortement marquée par des mouvements intenses. L’homme aspire aux déplacements : les voyages apportent le repos, entraînent de nouvelles rencontres, permettent de connaître de nouveaux pays et de nouvelles personnes, et conduisent à l’enrichissements de la personne. Grâce aux moyens de transport modernes, les croyants peuvent facilement partir loin de leur pays : vers la Terre Sainte, vers les sanctuaires mariaux comme Lourdes, Fatima, Czestochowa, ailleurs dans le monde ou dans leur propre pays. Au sujet du pèlerinage, la pastorale doit donc disposer de fondements théologiques clairs qui le justifient et qui développent une pratique solide et permanente dans le contexte de la pastorale en général. L’évangélisation, l’approfondissement de la foi et de la vie spirituelle figure, en effet, parmi les premiers objectifs en vue desquels l’Église propose et encourage les pèlerinages[3]. Le document « Pèlerinage… » est une réflexion théologique sur la signification du pèlerinage qui donne des orientations pastorales sur son organisation et son déroulement. Dans ce sens, c’est un document providentiel offert aux croyants, tout particulièrement aux responsables de la pastorale, qui y trouveront une précieuse aide spirituelle en vue d’une expérience plus profonde et plus intense du Grand Jubilé. Le document propose une aide « à tous les pèlerins et à tous les responsables de la pastorale des pèlerinages en vue d’une participation plus complète aux richesses spirituelles de la pratique des pèlerinages, à la lumière de la Parole de Dieu et de la tradition séculaire de l’Église. »[4] Le document du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants veut enrichir le sens spirituel des pèlerinages organisés par les pasteurs à l’occasion du Grand Jubilé de l’an 2000. Il veut fermement relier les pèlerinages à la réalité de la pénitence et de la conversion : le pèlerinage est une occasion et une motivation offerte au fidèle en vue de la croissance spirituelle, de l’approfondissement de sa vie de foi, de l’orientation de son cheminement vers Dieu.

Le document « Pèlerinage… » comporte six parties, une introduction et une conclusion. L’introduction met en exergue la raison et la finalité du document, la conclusion en donne le couronnement théologique. Dans la 1ère partie, le document expose le pèlerinage d’Israël, dans la 2ème, le pèlerinage du Christ, dans la 3ème, le pèlerinage de l’Église, dans la 4ème, le pèlerinage vers le troisième millénaire, dans la 5ème, le pèlerinage de l’humanité et dans la 6ème et dernière partie, le pèlerinage des chrétiens aujourd’hui : il s’agit ici d’une synthèse de la théologie du pèlerinage. Le texte est concis, facilement accessible et compréhensible.

Le pèlerinage n’est pas un phénomène propre aux chrétiens, mais connu de toutes les religions. « Le pèlerinage symbolise l’expérience de l’homme-voyageur (homo viator) qui, à peine sorti du sein maternel, commence le voyage de sa vie dans le temps et dans l’espace. »[5] Le pèlerinage est le voyage du croyant vers un lieu saint, sanctifié par la manifestation d’une divinité, par l’activité d’un maître spirituel ou le fondateur d’une religion, dans l’intention d’y prier et d’y offrir des sacrifices. En tant que tel, le pèlerinage est une expérience religieuse spécifique et un phénomène lié à toutes les religions, qui existe depuis que les religions existent. Un sanctuaire, dans lequel ou autour duquel se rassemblent des fidèles, est généralement érigé dans un tel lieu. Un lieu saint peut être situé dans le pays du pèlerin ou ailleurs, parfois très loin. Le but du pèlerinage est généralement l’obtention d’un bien matériel ou spirituel, susceptible - selon la croyance du pèlerin - d’être accordé en ce lieu précis. Par sa nature, le pèlerinage est généralement lié aux sacrifices et aux renoncements : le bien ou la grâce obtenus dans le lieu saint sont considérés comme récompense de l’effort accompli par le pèlerin. Les biens recherchés peuvent être de diverses natures : ils vont de la guérison d’une maladie jusqu’à l’obtention de la vie éternelle.[6] Le pèlerinage est une pratique très populaire chez les fidèles, car :

  1. Il engage toutes les facultés humaines (audiovisuelles, motrices, émotionnelles).
  2. Il souligne et approfondit les liens humains, éléments importants des émotions religieuses.
  3. Il souligne la valeur et prolonge le souvenir religieux lié à ce lieu.
  4. Il affermit les liens internationaux, sociaux, culturels et de civilisation qui dépassent les limites de la nation, et même de la race.

Lors du voyage, les pèlerins s’arrêtent, vendent, achètent, échangent des biens matériels et spirituels, apprennent à connaître les valeurs culturelles des peuples chez qui ils sont venus en étrangers (en latin : peregrini) et dont ils ont fréquenté le milieu. Aussi le pèlerinage, en tant que tel, apparaît assez tard dans l’histoire des religions, notamment lorsque les relations sociales (la famille, le clan, la tribu, le peuple, l’état, les routes, les sanctuaires etc.) sont parvenues à un certain stade de développement.[7]

L’histoire du Peuple élu relatée dans l’Ancien Testament est en réalité un pèlerinage grandiose sur les chemins de la foi : la sortie d’Egypte, le passage de la Mer Rouge, la traversée du désert, les tentations et le péché, l’entrée dans la Terre Promise, l’exil en Babylonie et le retour dans l’ancienne patrie. Les Israélites avaient coutume de monter trois fois par an vers la Ville Sainte de Jérusalem : pour les grandes fêtes de Pessah, de Shavouoth et de Sukkoth. Inspiré par la pratique du pèlerinage juif et chrétien, Mahomet ordonne aux musulmans : « Faites le pèlerinage et visitez les lieux saints par amour de Dieu ! » (Coran, II, 196). Chaque année, des milliers de musulmans se rendent donc à Mecque et à Médine. Le pèlerinage est considéré comme l’un des cinq piliers de la religion islamique.

Les adeptes de l’hindouisme se rendent au fleuve saint du Gange, leur « mère », qui les purifie du péché. Les bouddhistes vont en pèlerinage vers les lieux sanctifiés de son vivant par Bouddha. Les shintoïstes partent dans les forêts profondes pour y méditer en silence parmi les buissons. Les chrétiens, à leur tour, se rendent aux lieux où Dieu s’est révélé, ou ceux liés à la vie, la Passion, la mort et la Résurrection de Jésus Christ et de ses saints.

Le pèlerinage se différencie du tourisme, considéré comme une échappée de la vie quotidienne vers quelque chose d’inhabituel, de peu ordinaire, d’amusant, alors que le pèlerinage est un voyage riche en symbolique vers un but précis. Le pèlerin est en route vers le sanctuaire considéré comme « la maison du Seigneur », vers la maison symbolique du Seigneur qui, dans le langage mythique, se trouve dans les Cieux. La symbolique est donc l’élément spécifique qui distingue le pèlerinage du tourisme. Un symbole contient deux vérités : une au niveau de la réalité, une autre au niveau allégorique. Trois morceaux de tissu – rouge, blanc et bleu – sont des objets ordinaires, possédant une signification et un usage qui leur sont propres. Cousus ensemble, ils deviennent le drapeau rouge-blanc-bleu, symbole d’un état, d’un peuple. Le pèlerinage est un acte symbolique : un voyage symbolique vers Dieu. « Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau. Oui, au sanctuaire je t’ai contemplé, voyant ta puissance et ta gloire. » (Ps 63,2-3) Pour les croyants, la vie est un voyage, un pèlerinage. Ils mènent une vie fermement ancrée dans la réalité, à savoir dans l’histoire, qui est en même temps un voyage, un pèlerinage vers le Salut.

Dans la première partie (N°s 4-8), le document expose le pèlerinage d’Israël, commençant par le pèlerinage d’Adam et passant par celui d’Abraham et du Peuple élu de l’Ancien Testament : la sortie d’Egypte, la traversée du désert et l’entrée dans la Terre promise. La sortie d’Egypte a revêtu une valeur durable : elle est devenue le souvenir (en hébreu : zikkaron, en latin : memoriale) toujours vivant dans le peuple, vécu une deuxième fois lors du retour de la captivité babylonienne, chanté par Deutéro-Isaïe comme un nouvel Exode (cf. Is 43,16-21) célébré par Israël chaque année lors de la Pâque et transformé dans le Livre de la Sagesse en une réalité eschatologique (cf. Sg 11-19). Le but final d’un tel voyage est « la Terre promise » de la communion parfaite avec Dieu dans une nouvelle création (cf. Sg 19).[8] Le fidèle de l’Ancien Testament se présente devant Dieu comme « un étranger et un pèlerin » (Ps 39,13 ; 119,19). Les Israélites montaient vers Jérusalem, la Sainte Sion, en chantant des hymnes de joie, « les psaumes du pèlerinage » (Ps 120-134). Ils faisaient leur expérience avec Dieu-pèlerin qui marche toujours avec son peuple. Le Dieu d’Israël n’est pas lié à un lieu précis, comme c’était le cas des dieux des païens, mais voyage avec le peuple, est présent partout. Dans leurs annonces, les prophètes soulignent également « le pèlerinage messianique », ouvert aux horizons eschatologiques, où tous les peuples de la terre se rendront à Sion, le lieu de la Parole de Dieu, de la paix et de l’espérance (cf. Is 2,2-4 ; 56,6-8 ; 66,18-23 ; Mi 4,1-4 ; Za 8,20-23). »[9] Le but de ce mouvement général des peuples est « le festin pour tous les peuples » à la fin de l’histoire (Is 25,6).

La deuxième partie du document traite du pèlerinage du Christ. Jésus se présente comme « La voie, la Vérité et la Vie » (cf. Jn 14,6). Par son Incarnation et la naissance de la Vierge, il emprunte le chemin de son peuple et de toute l’humanité « s’unissant d’une certaine manière à chaque homme ».[10] Plus que de montrer le chemin vers Dieu, il marche lui-même sur ce chemin. En sa personne, Il est le Chemin vers Dieu. Enfant, il va en pèlerinage à Jérusalem, au Temple, avec ses parents. Sa vie publique prend la forme d’un pèlerinage continu de Galilée, en passant par la Samarie et la Judée, jusqu’à Jérusalem, où il sera crucifié. Saint Luc l’évangéliste décrit la vie de Jésus comme « un grand voyage qui a pour but non seulement la Croix, mais également la gloire de la Résurrection et de l’Ascension » (cf. Lc 9,51 ; 24,51).[11] Lors de la Transfiguration sur le Mont Thabor, Luc présente la mort de Jésus comme une « sortie » (en grec : exodos). Lorsque Jésus appelle ses disciples à Le suivre, il dit : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. » (Mt 16,24)

Les disciples de Jésus, inspirés et vivifiés par l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte, se rendent sur les chemins du monde, abordent différents peuples et pays et annoncent l’Evangile du Christ partout, de Jérusalem jusqu’à Rome.[12]

« La finalité dernière de ce pèlerinage sur les chemins du monde n’est pas inscrite sur le planisphère : elle se trouve au-delà de notre horizon terrestre, comme elle l’a été pour le Christ qui voyageait avec les hommes afin de les amener à la pleine communion avec Dieu. »[13] il nous faut remarquer que les Actes des Apôtres qualifient la vie chrétienne comme « la voie » (cf. Ac 2,28 ; 9,2 ; 16,17 ; 18,25-26 etc.) La vie chrétienne est présentée comme un pèlerinage vers la Jérusalem céleste (Révélation), un pèlerinage avec un but transcendantal. Le chrétien sait qu’il est « voyageur », « étranger et nouveau-venu », sur la terre, et que « sa patrie est aux Cieux ».[14]

Dans la troisième partie, le document développe le pèlerinage de l’Église (N° 12 à 17). L’Église, peuple messianique de Dieu, est aussi en chemin vers la ville future et éternelle.[15] Les apôtres du Christ ont traversé les principales routes romaines, les chemins de la terre et les voies maritimes, ont rencontré diverses langues et cultures annonçant l’Évangile du Christ : de l’Asie Mineure à l’Italie, de l’Afrique à l’Espagne et à la Gaule, et, finalement, de l’Allemagne à la Grande Bretagne, et des pays slaves jusqu’à l’Inde et la Chine. Dans les temps plus récents, ils ont continué à marcher vers de nouveaux pays et de nouveaux peuples en Amérique, en Afrique, en Océanie, prolongeant ainsi « la marche du Christ au cours des siècles ».[16]

Au 4e et 5e siècles, l’Église voit apparaître le mouvement monastique : une migration ascétique, un exode spirituel. Les hommes pieux partent au désert pour y méditer sur l’expérience d’Abraham, nouveau-venu et étranger, sur la figure de Moïse qui fait sortir le peuple d’Egypte pour le conduire vers la Terre promise, ainsi que sur celle du prophète Elie qui rencontre Dieu sur le Mont Carmel.[17] À cette époque, Jérôme et ses disciples Paule et Eustochie partent en direction de la Terre Sainte. Ils s’installent à Bethléem, près de la grotte de la Nativité de Jésus. Ils érigent les monastères, les laures, les ermitages et les cénobiums dans le désert de Judée et, en dehors de la terre Sainte, en Syrie, en Cappadoce, à Thébaïde, en Egypte. Jérôme et d’autres saints Pères appellent les chrétiens à venir en pèlerinage vers les lieux saints,[18] tout en les mettant en garde contre les excès, les malentendus et les incompréhensions. Saint Grégoire de Nysse met en garde le pèlerin, disant que « le vrai pèlerinage est celui qui conduit le fidèle de la réalité physique à la réalité spirituelle, de la vie dans la chair à la vie dans le Seigneur, et non le fait de partir de Cappadoce en Palestine. »[19] Saint Augustin conseille : « Entre en toi-même : la vérité demeure dans le cœur de l’homme !… Et dépasse-toi toi-même ! »[20] Saint Jérôme met également en garde contre une conception formaliste du pèlerinage.[21]

Lorsque, en 638, les Arabes ont conquis la Terre Sainte, les voyages des pèlerins chrétiens ont été rendus difficiles. De nouveaux chemins s’ouvrent alors à l’Occident : Rome (« la route ad Petri sedem »), le chemin de Saint Jacques de Compostelle, les sanctuaires marials de Lorette et de Jasna Gora à Czestochowa, les grands monastères du Moyen Age, forteresses de l’esprit et de la culture, lieux qui incarnent le souvenir de grands saints (Tours, Canterbury, Padoue et autres).[22] Au Moyen Âge, nous sommes confrontés à une vraie vague de pèlerinages dans toutes les directions de l’Europe et du monde, comportant quelques excès. Ces pèlerinages nourrissaient la spiritualité, fortifiaient la foi, faisaient grandir la charité, ravivaient la mission de l’Église. Les « palmiers », pèlerins portant un vêtement spécifique, forment comme un ordre particulier rappelant au monde la nature de la communauté chrétienne qui tend vers la rencontre de Dieu et la communion avec lui.[23] Le mouvement des croisés est une forme particulière de pèlerinage apparue entre le 11e et le 13e siècles. Ce mouvement réunit « l’ancien idéal religieux de pèlerinage sur des lieux saints en Terre Sainte avec des idées nouvelles : la création de l’ordre de la chevalerie, les aspirations sociales et politiques, l’éveil des idées marchandes et culturelles orientées vers l’Orient où, en Terre Sainte, est présent l’Islam. »[24]

Au 13e siècle apparaît St François qui, avec ses frères franciscains, part pour la Terre Sainte, à Jérusalem. Jusqu’à ce jours, ils sont les gardiens des lieux saints en Palestine et au Proche Orient (Syrie, Liban, Jordanie, Egypte). Vers l’an 1300 est fondée la Société des pèlerins pour le Christ. La même année, à Rome, le Jubilé est proclamé pour la première fois, qui attire vers Rome des milliers de pèlerins. Ces pèlerinages à Rome continuent tout au long des Années Saintes consécutives. Rome devient ainsi le centre culturel et religieux de l’Europe Occidentale.

Au 15e et 16e siècles, avec la découverte du Nouveau Monde, la vision eurocentrique prédomine, alors que la chrétienté occidentale, déchirée par des querelles internes, perd l’unité avec son siège à Rome. Des lieux de pèlerinages alternatifs apparaissent : les nombreux sanctuaires marials.[25] Le pèlerinage chrétien continue à exister au 18e et 19e siècles : il soutient la foi du peuple de génération en génération, ouvre de nouvelles spiritualités avec de nouveaux centres de la foi (Guadaloupe, Lourdes, Aperceida…). La conscience renouvelée du peuple de Dieu en marche est devenue une image très éloquente de l’Église réunie lors du Concile Vatican II.[26]

Dans la quatrième partie, le document développe la préparation pour le Grand Jubilé de l’an 2000 (N° 18-23). Dans cet événement, le pèlerinage a une signification et une importance exceptionnelle. L’événement du Concile Vatican II a déjà été, au sens symbolique, un grand pèlerinage de toute la communauté ecclésiale. Le Concile a été comme une ascension spirituelle. Les Pères du Concile saluaient les penseurs comme « des pèlerins en chemin vers la lumière ».[27] Cet aspect symbolique de l’Église-pèlerine a été manifesté par les pèlerinages de deux Papes-pèlerins : Jean XXIII à Lorette au début du Concile (1962) et Paul VI en Terre Sainte à la fin du Concile (1964), suivis de nombreux pèlerinages du Pape Paul VI et du pape Jean-Paul II. Le pèlerinage de Paul VI en Terre Sainte, par lequel il a voulu célébrer les mystères fondamentaux de la foi, l’Incarnation et la Rédemption, a inspiré une nouvelle vague de pèlerinage en Terre Sainte depuis tous les coins de la terre. Les voyages du Pape Jean-Paul II ont donné un élan exceptionnel aux pèlerinages et à la pratique de la prière, de la conversion et de la conscience que nous sommes le peuple pèlerin de Dieu.

Dans ses Constitutions, le Concile Vatican II présente l’Église comme « voyageuse »[28] et souligne à plusieurs reprises la nature pèlerine de l’Église : elle a son fondement dans la mission du Christ, envoyé par le Père. Nous venons de lui, vivons par lui, sommes orientés vers lui, et l'Esprit dirige notre voyage à la suite du Christ.[29] Le Concile définit la vie chrétienne comme un pèlerinage dans la foi.[30]

L’Église est, par sa nature, missionnaire. [31] Le commandement du Christ ressuscité : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples ! » (Mt 28,19) souligne précisément le verbe « aller », moyen incontournable d’évangélisation offert au monde.[32]

Le but fondamental du pèlerinage actuel de l’Église est le Jubilé de l’an 2000 vers lequel le fidèle avance sous la protection de la Sainte Trinité. Ce voyage doit être plus intérieur et enraciné dans la vie que localisé dans l’espace.[33]

Dans la cinquième partie (N° 24-31), le Document explique le pèlerinage de l’humanité, mettant l’accent sur la valeur spirituelle du pèlerinage et la nécessité de l’action pastorale. L’humanité est en route, y compris actuellement : l’homme a conscience d’être homo viator en quête de la vérité, de la justice, de la paix et de l’amour. Il voyage vers l’absolu et l’infini, vers Dieu. Les mouvements de l’humanité contiennent « le germe du désir fondamental de l’horizon transcendantal de la vérité, de la justice et de la paix. Il témoigne de l’inquiétude qui se calme en Dieu infini, le havre dans lequel l’homme peut se remettre de toutes ses angoisses. »[34] Dans ce voyage, certains mouvements sont visibles : le respect des droits humains, le développement de la science et de la technique, le dialogue interreligieux…[35] Nous sommes témoins des mouvements de masse de peuples entiers qui veulent éviter les dangers de la guerre ou les catastrophes naturelles dans leurs pays, ou bien cherchent une plus grande sécurité et un plus grand bien-être pour leurs proches. Dans ce pèlerinage de l’humanité, le christianisme s’offre comme le Bon Samaritain, prêt à venir au secours.[36] La quête humaine, la promotion et l’avancée de la compréhension entre les peuples incluent un élément touristique[37], les recherches scientifiques, les voyages à but culturel, sportif ou économique. Le Document encourage les personnes à ne pas être préoccupées uniquement par les intérêts économiques, mais conscientes de la dimension humaine et sociale de leurs activités.[38]

Il est question également des expériences proprement chrétiennes du pèlerinage : des missionnaires pèlerins en pays lointains, des rassemblements œcuméniques de prière pour le don de l’unité des chrétiens, des rassemblements interreligieux (comme celui d’Assise en 1986).

Le Document mentionne deux villes comme cibles de pèlerinages : Rome, ville symbole de la mission universelle de l’Église, et Jérusalem, lieu saint vénéré par toutes les religions issues d’Abraham, la ville de laquelle « vient la Loi et la parole du Seigneur » (Is 2,3).[39] Il ne faut pas non plus oublier les villes martyres comme Auschwitz, Hiroshima et Nagasaki comme cibles de pèlerinage.

La sixième et dernière partie du Document parle du pèlerinage des chrétiens aujourd’hui (N° 32-42). C’est la partie la plus développée du Document qui traite des éléments principaux du pèlerinage et donne des orientations pour l’activité pastorale avec les pèlerins. Pour le chrétien, « le pèlerinage est une célébration de sa foi… qui doit être faite en accord avec la tradition et le sentiment religieux, et en tant que réalisation de son existence pascale ».[40] Cette expérience est vécue d’une manière particulière dans la célébration eucharistique du mystère pascal, la réception de la sainte communion, la lecture et la méditation de l’évangile.[41] Dans ce but, il faut développer l’activité pastorale dans les sanctuaires où le pèlerin pourra faire l’expérience d’« une rencontre silencieuse et recueillie avec Dieu et avec lui-même », surtout dans la sainte confession, où ses péchés sont pardonnés et où il devient une créature nouvelle. La réconciliation avec Dieu et avec les frères a pour but la célébration eucharistique.[42] Dans les sanctuaires et lors du voyage, un animateur spirituel - disposant d’une solide préparation catéchétique - devrait être présent, afin de préparer les pèlerins à la rencontre avec Dieu. Les presbytres qui animent les pèlerinages lors du voyage y prennent une responsabilité particulière.[43]

La rencontre avec Dieu dans la « Tente de la rencontre », dans le sanctuaire, est également une rencontre avec l’amour de Dieu, avec l’humanité, une rencontre cosmique avec Dieu dans la beauté de la nature ainsi qu’une rencontre avec soi-même.[44] Un nombre considérable de sanctuaires chrétiens sont également la cible de pèlerinages de fidèles d’autres religions. Ce fait sollicite l’activité pastorale de l’Église à répondre par des initiatives d’accueil, de dialogue, d’entraide et de véritable fraternité.[45]

Le pèlerinage est également une rencontre avec Marie, étoile de l’évangélisation. Les sanctuaires marials, grands et petits, peuvent être des lieux privilégiés de la rencontre avec son Fils qu’elle nous donne. Le chrétien se met en route avec Marie sur les chemins de la foi et de l’amour, sur les chemins du monde, pour gravir le Calvaire et demeurer auprès d’elle comme le disciple bien-aimé à qui le Christ a confié sa Mère, jusqu’au Cénacle, afin d’y recevoir le don de l’Esprit Saint de son Fils ressuscité.

Prof. Dr. Adalbert Rebić, 1999

Notes :

Prof. dr Adalbert Rebić est né en 1937 à Hum na Sutli (Croatie). Études de philosophie à Zagreb et à la l’Université Grégorienne à Rome et de théologie à la Grégorienne. Institut Biblique. Depuis 1968, enseigne les sciences bibliques et les langues orientales (hébreu, arabe, syriaque, araméen) à la Théologie catholique de l’Université de Zagreb. Enseigne aux séminaires de Zadar et Đakovo. Chargé des finances de la Faculté. Rédacteur en chef de la revue « Bogoslovna smotra » (Revue théologique), directeur de la bibliothèque de la Faculté. Depuis 1972, président de l’Institut mariologique croate, organise la section croate lors des congrès mariologiques à Rome, Malte, Zaragoza, Kevelaer, Huelva et Czestochowa. Rédacteur des éditions bibliques de la maison d’éditions « Kršćanska sadašnjost » (Actualité chrétienne), rédacteur en chef du Dictionnaire des religions de l’Institut lexicographique « Miroslav Krleža » à Zagreb. De 1991 à 1996 directeur du Bureau pour les exilés et déplacés auprès du gouvernement de la République de Croatie. En 1995, ministre sans portefeuille du gouvernement de Croatie. Décorée par le président de la République et l’Académie Croate des sciences et des arts. Auteur d’une quinzaine d’œuvres importantes, rédacteur de 11 ouvrages communs dans le domaine de la mariologie. Auteur d’environ 430 articles publiés dans des revues théologiques en Croatie et à l’étranger. Traducteur de 26 livres en diverses langues. Depuis 1970, membre du « Prebendarski zbor zagrebačke Prvostolnice ». Depuis 1966 a organisé et animé une cinquantaine de voyages en Terre Sainte. Membre de la Société des traducteurs littéraires croates, membre de la Société des artistes croates, membre régulier de l’Académie pontificale internationale mariologique, membre de la société culturelle juive « Shalom Freiberger » à Zagreb, membre de la rédaction de la revue internationale théologique « Communio ».

 

[1] Conseil pontifical pour la pastorale des migrants, Pèlerinage du Grand Jubilé de l’an 2000, N° 23.

[2] Pèlerinage. N° 2

[3] Pèlerinage. N° 2

[4] Pèlerinage. N° 3

[5] Pèlerinage, 57.

[6] Cf. Rebić, Fenomen hodočašća u Bibliji i u Islamu, dans : Bogoslovska Smotra 54 (1984) p. 516 ; T.G. Pinches, Pilgrimage dans :James Hastings Encyclopaedia of religions and Ethics, tome X, 12a Edinbourg, 1918 ; Pellegrinaggio, dans : Enciclopedia cattolica. Voir également les notes dans les grandes Encyclopédies et les grands Dictionnaires des religions.

[7] Rebić, Fenomen hodočašća u Bibliji i u Islamu p. 517 ; F. Heiler, La prière, Paris 1931, p. 150 ; J.P. Steffes, Wallfahrt und Volkstum in Geschichte und Leben, G. Schreiber, Düsseldorf 1934 p. 184-216.

[8] Cf. Pèlerinage, N° 8

[9] Pèlerinage, N° 8

[10] Pape Jean-Paul II, Encyclique Redemptor Hominis N° 18.

[11] Pèlerinage, N° 9.

[12] Pèlerinage, N° 10.

[13] Pèlerinage, N° 11.

[14] Cf. Ep 2,19 ; 1 Pi 2,11 ; He 13,13-14 ; Ap 21,4 ; Pèlerinage N° 11.

[15] Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, N° 9 ; cf. note N° 2.

[16] Pèlerinage, N° 12 ; Jean-Paul II, Lettre apostolique A l’approche du troisième millénaire N° 25.

[17] Pèlerinage, N° 13.

[18] Au 4e et 5e siècles apparaissent des grands pèlerinages organisés sur des lieux saints en Palestine et sur les tombeaux des martyrs. En témoignent les ouvrages de l’époque, comme Le pèlerinage d’Ethérie sur les lieux saints (du 4e siècle), Le carnet de voyage du pèlerin anonyme de Bordeaux (du 4e siècle) et d’autres documents de voyage en Terre Sainte.

[19] St Grégoire de Nysse, Lettre 2,18, Sources Chrétiennes 362,122 ; Migne, Patrologia Graeca 46,1013.

[20] St Augustin, De vera religione, 39,72, CCL 32,234 ; Migne, Patrologia Latina, 34,154.

[21] St Jérôme, Lettre 58,2-3 ; CSEL 54,529-532 ; PL 22,580-581, Pèlerinage, N° 13.

[22] Cf. Pèlerinage N° 14 ; Jean-Paul II, Allocution lors de sa visite à Vienne, 10 septembre 1983.

[23] Pèlerinage N° 14, A. Rebic, Hodočašća danas, dans Kana 29(1998) N° 11/316, octobre 1998, p. 30.

[24] Pèlerinage N° 14.

[25] Pèlerinage N° 16.

[26] Pèlerinage, N° 17.

[27] Le message au monde du Concile Vatican II, 8 décembre 1965 ; Pèlerinage, N° 19.

[28] Concile Vatican II, Constitution dogmatique Sacrosanctum Concilium, N° 2.

[29] Cf. Constitution dogmatique Lumen Gentium, N° 7-9 ; Ad Gentes, N° 5 ; Pèlerinage, N° 20.

[30] Cf. Constitution dogmatique Lumen Gentium, N° 8.

[31] Concile Vatican II, Ad Gentes, N° 2 ; Lumen Gentium, N° 17.

[32] Pèlerinage, N° 21.

[33] Pèlerinage, N° 23.

[34] Pèlerinage, N° 30 ; St Augustin, Confessions 1,1.

[35] Pèlerinage, N° 24.

[36] Pèlerinage, N° 25.

[37] Pèlerinage, N° 30.

[38] Pèlerinage, N° 26-28.

[39] Pèlerinage, N° 31.

[40] Pèlerinage, N° 32 ; Congrégation pour le culte divin, Orientations et propositions pour la célébration de l’Année Mariale (1987), dans Notitiae 23 (1987) 342-396.

[41] Pèlerinage, N° 34-35.

[42] Jean-Paul II, Lettre à l’occasion de l’anniversaire de la Maison de Nazareth à Lorette, dans : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XVI,2(1993) 533 ; Pèlerinage, N° 33,36 ; Jean-Paul II, Homélie dans la basilique d’Apercida, Brésil, dans Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III,2 (1980) 99.

[43] Pèlerinage, N° 35.

[44] Pèlerinage, N° 38-41.

[45] Pèlerinage, N° 39 ; Jean-Paul II, Redemptor hominis, N° 37.