BASKA VODA 1995

SÉMINAIRE DE PRIÈRE ET DE FORMATION

Pour les responsables des centres de paix, des groupes de prière et pour les organisateurs de pèlerinages

PROGRAMME

« Apparitions, visions, révélations (possibilité théologique et signification de ces phénomènes inhabituels) » (Dr. fr. Ivan Dugandžić, ofm)

« La révélation « privée » et Medjugorje » (Dr. fr. Ljudevit Rupčić, ofm)

« Le rôle des voyants (biblique et historique) » (Dr. fr. Josip Marcelić)

« Le contexte historique et théologique des apparitions de Medjugorje » (Dr. fr. Tomislav Pervan, ofm)

« Le rôle des média dans la diffusion du message de Medjugorje » (Hans Schotte)

« Comment préparer les pèlerins pour un pèlerinage à Medjugorje ? » (Sr Isabel Bettwy)

PRÉSENTATION DES CONFÉRENCIERS

Dr. fr. Ivan Dugandžić, ofm - prêtre franciscain, membre de la Province franciscaine d’Herzégovine, est né en 1943 à Krehin Grac, commune de Čitluk, Herzégovine. Bachelier à Dubrovnik en 1962, il entre dans l’Ordre franciscain et fait ses études de théologie à Sarajevo et à Königstein (Allemagne). Il est ordonné prêtre en 1969, puis obtient une maîtrise et un doctorat en sciences bibliques à Würzburg (Allemagne). Depuis 1990, il vit et travaille à Zagreb où il enseigne l’exégèse du Nouveau Testament et la théologie biblique à la Faculté de théologie catholique et ses Instituts. Il publie des travaux bibliques dans les revues théologiques spécialisées et des articles sur les thèmes bibliques dans les revues catholiques. Il a vécu et travaillé à Medjugorje à deux reprises : de 1970 à 1972 et de 1985 à 1988.

Dr. fr. Ljudevit Rupčić, ofm est né en 1920 à Hardomilje, Ljubuški. En 1939, il entre dans l’ordre franciscain dans la Province d’Herzégovine et est ordonné prêtre en 1946. Il termine ses études de théologie à la Faculté de théologie de Zagreb en 1947 où il obtient un doctorat en 1958 et l’habilitation à l’enseignement supérieur en 1971. De 1958 à 1988 il enseigne l’exégèse du Nouveau Testament à la Théologie franciscaine à Sarajevo et à la Faculté de théologie de Zagreb. Sous le régime communiste yougoslave, il est en prison en 1945 et en 1947, puis de 1952 à 1956.

De 1968 à 1981, il est membre de la Commission théologique auprès de la Conférence épiscopale de l’ex-Yougoslavie. Il traduit le Nouveau Testament en croate depuis l’original, traduction qui a connu de nombreuses éditions. Il publie de nombreux livres, études et articles en croate, en allemand, en italien, en français et en anglais. Il intervient aux nombreux congrès et symposiums en Europe et en Amérique.

Dr. fr. Tomislav Pervan, ofm est né le 8 novembre 1946 à Čitluk. Ordonné prêtre en 1969, il obtient un doctorat en théologie néotestamentaire en 1976. Il est nommé assistant du maître des novices de la Province franciscaine d’Herzégovine, puis curé de la paroisse de Medjugorje, où il demeure de 1982 à 1988. En 1990, il est nommé vicaire provincial et, en 1994, provincial de la Province franciscaine d’Herzégovine.

Dr. fr. Josip Marcelić, franciscain du Tiers Ordre, est né en 1929 à Preko, Zadar. Ordonné prêtre en 1953 à Split, il obtient une maîtrise en philosophie et un doctorat en théologie à l’Université de Latran à Rome. Depuis 1971, il enseigne la dogmatique et certaines disciplines bibliques à la Faculté de Théologie catholique à Split. À plusieurs reprises, il est Recteur et Pro-recteur de cette même Faculté. Co-fondateur et co-éditeur des éditions «L’Esprit et l’eau », une collection de l’œuvre du Renouveau dans l’Esprit (Jelsa, depuis 1984), pour laquelle il écrit et traduit de nombreux ouvrages.

Hans Schotte est né en 1944. Baccalauréat au Lycée diocésain d’Essen, Allemagne, (cours du soir). Etudes de théologie, de philosophie, de pédagogie et de pédagogie des média à l’Université de Bonn. Après plusieurs années d’activité comme journaliste et directeur de l’Agence de presse du diocèse d’Augsburg, il travaille en tant que journaliste - envoyé spécial pour l’œuvre internationale catholique missionnaire MISSIO à München. Depuis 1983, il est engagé dans le diocèse d’Augsburg comme pédagogue des média et auteur de films documentaires. Grâce à ses nombreux voyages en Asie, en Afrique et en Amérique latine, il dirige et diffuse à la télévision une quarantaine de reportages et de nombreux films destinés au travail pédagogique de l’Église, dont deux documentaires sur Medjugorje comme lieu de pèlerinage. Hans Schotte travaille actuellement sur un nouveau documentaire sur Medjugorje.

Sr Isabel Bettwy est fondatrice et directrice de l’association mariale « Mère de Miséricorde » consacrée à la dévotion de Marie, notre Mère, à travers la prière et l’éducation. Une des activités de cette association est l’organisation de pèlerinages sur les lieux marials du monde entier, mais surtout à Medjugorje. Sr Isabel a commencé à accompagner les pèlerinages à Medjugorje en 1984, lorsqu’elle était directrice des Voyages franciscains universitaires. Elle est actuellement directrice du Centre national de pèlerinages de la Divine Miséricorde à Stockbridge, MA, USA.


DÉCLARATION

Environ soixante-dix responsables des groupes de prière et des Centres de la Paix de quinze pays du monde, quatre voyants et les prêtres qui travaillent à Medjugorje, se sont réunis au symposium international de Baška Voda, du 2 au 6 avril 1995. À l’écoute des conférences, dans le partage des réflexions et des expériences et dans la prière commune, nous avons acquis la ferme conviction que les apparitions de Medjugorje sont un don de Dieu pour l’Église en ces temps, et cela selon tous les critères : en ce qui concerne les voyants, en ce qui concerne les messages de la Gospa et en ce qui concerne les fruits de ces messages dans la vie des fidèles du monde entier. Les apparitions sont un encouragement pour le peuple de Dieu en ce temps d’angoisse et d’agitation profonde, une stimulation et un indicateur de direction pour l’Église dans sa recherche de nouvelles voies d’évangélisation au seuil du troisième millénaire. Les messages de la Gospa ne sont pas une nouvelle révélation, mais une nouvelle aide, afin que la Révélation soit comprise et incarnée de manière nouvelle en ces temps nouveaux. Ils contiennent, d’une certaine manière, des réponses concrètes aux documents les plus récents du Pape Jean-Paul II.

Nous recommandons donc à tous les groupes de prière et à tous les Centres de la Paix :

de trouver dans les messages de la Vierge une invitation et une orientation vers l’unique Sauveur Jésus Christ, l’origine et l’accomplissement du salut

de toujours avoir à cœur le souci de l’Église dont Marie est la Mère, le modèle, l’exemple et le but ultime de son voyage dans le temps

de faire tout ce qui est dans leur pouvoir pour faire goûter à leur l’Église locale les fruits de la conversion et de la paix

dans le cadre des messages de la Gospa, d’être ouverts aux signes du monde et des temps, et de devenir un signe d’espérance et d’assurance pour tous les hommes qui vivent au cœur des angoisses et des incertitudes contemporaines

de faire tout ce qui est dans leur pouvoir pour surmonter les discordes dans l’amour et la compréhension, afin que tous ensemble nous puissions servir le grand bien de la paix.

CONFÉRENCES

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Dr. fr. Ivan Dugandžić, ofm

APPARITIONS, VISIONS, RÉVÉLATIONS (POSSIBILITÉ THÉOLOGIQUE ET SIGNIFICATION DE CES PHÉNOMÈNES INHABITUELS)

PHÉNOMÈNES EXTRAORDINAIRES DANS UN TEMPS EXTRAORDINAIRE

La Bible parle si souvent des apparitions et des visions, les mettant tellement en lien avec la révélation de Dieu faite aux hommes, que nous pouvons les considérer comme son principal propos. Faisant abstraction de tout le chemin parcouru dans l’Ancien Testament, je soulignerai seulement l’importance de l’apparition du Ressuscité aux disciples ou au pharisien Saul sur le chemin de Damas. Pourquoi alors les apparitions et les visions ont-elles plus tard, dans l’histoire de l’Église, rencontré une si grande prudence et un si grand scepticisme de la part de la hiérarchie et du clergé en général, et un considérable manque d’intérêt de la part des théologiens ? On pourrait dire, en effet, que ces phénomènes sont accueillis avec empressement uniquement par le peuple des fidèles, parfois certes même trop vite et sans esprit critique.

Dans la véritable marée de la littérature théologique aujourd’hui, il est assez difficile de trouver un ouvrage théologique solide consacré aux apparitions et aux visions ; en effet, on pourrait les compter sur les doigts d’une main. Si nous partons de la bonne ancienne définition de la théologie comme servante de la foi, son premier devoir serait de « pénétrer la Révélation par la lumière de la raison» et de « s’efforcer à une vivante interprétation de la foi « dans la vie pratique de l’Église. Nous ne pouvons donc nous soustraire à la question suivante : pourquoi alors la théologie répugne-t-elle ces phénomènes qui concernent avec tant d’évidence la Révélation et la vie de l’Église ? S’agirait-il d’une conviction inconsciente qu’ils seraient impossibles ou inutiles pour la vie de l’Église, de la peur face à la délicatesse de la tâche, ou d’autre chose ? Ces phénomènes-là, ne sont-ils pas un vrai défi et un examen pour la théologie contemporaine qui se préoccupe avec beaucoup d’engagement- et même de succès – de questions et de problèmes particuliers, mais qui semble avoir de plus en plus de difficultés avec le sens global ? Ne faudrait-il pas craindre la réalisation de la sombre prophétie du père du positivisme A. Comte qui affirmait il y a 150 ans, en observant le déplacement de l’intérêt de la théologie du mystère de la Trinité vers la christologie et puis vers l’ecclésiologie, qu’en prenant ce chemin, l’Église elle-même glisserait doucement et sans s’en apercevoir vers le positivisme ? « Elle ne s’occupera plus de Dieu mais de l’homme, elle n’explorera plus la vérité inexplorable mais les phénomènes positifs de sa propre communauté. »

Hans Urs von Balthasar, un des théologiens des plus perspicaces et des plus profonds de notre temps, reconnaît presque indirectement que c’est déjà arrivé, lorsqu’il affirme que l’Église contemporaine « a pour une bonne part perdu ses traits mystiques pour devenir une Église de discussions permanentes, de conseils, de congrès, de synodes, de commissions, d’académies, de partis, de fonctions, de structuration et de restructuration, d’expérimentations sociologiques et de statistiques ».

Quelque chose de semblable se passe avec la théologie. Ceux qui suivent un tant soit peu les événements théologiques modernes savent dans quelle mesure la théologie contemporaine est infiltrée par l’anthropologie, la sociologie et la psychologie, sciences qui peuvent certainement enrichir et moderniser la pensée théologique, mais qui représentent un danger permanent, à savoir de prendre la place de ce qui fait de la théologie une « science sur Dieu ». Le centre de gravité de la réflexion théologique est parfois tellement déplacé de Dieu vers l’homme, et des réalités de l’au-delà vers les réalités d’ici-bas, que nous pouvons facilement comprendre que l’esprit de notre époque et le climat spirituel ne sont pas du tout favorables à un discours sur les apparitions et sur les visions.

Mais puisque ces phénomènes exigent quand même une explication, on cherche à l’offrir sur un terrain qui n’est pas théologique. On aime bien souligner que, dans le monde contemporain confronté à l’incertitude et la peur de l’avenir, des tendances prophético-apocalyptiques apparaissent, se donnant libre cours dans la psychose des masses. Ces phénomènes reçoivent ainsi à priori un qualificatif négatif : les phénomènes extraordinaires sont identifiés aux états pathologiques, et leur explication est laissée aux bons soins de la psychologie et de la parapsychologie.

Lorsqu’il s’agit de Marie et des ses apparitions, on met généralement en exergue la médiation unique de Jésus entre Dieu et les hommes, et on y déduit l’impossibilité des apparitions, comme si elles mettaient en question cette vérité, d’ailleurs sûre. Dans certains pays, il s’agit souvent aussi d’une certaine tactique œcuménique superficielle visant les protestants, gênés depuis toujours par l’importance que les catholiques accordent à Marie. Il semble pourtant que l’une des raisons du manque d’intérêt de nombreux théologiens pour ces phénomènes doit être recherchée dans leur peur d’être taxés de conservateurs à une époque où la mode est à la théologie tournée vers les problèmes tout à fait concrets de la vie, ce qui est bon en soi, mais n’est pas suffisant.

En scrutant depuis longtemps et de près les événements dans la paroisse de Medjugorje, en essayant à les évaluer théologiquement, et en observant les réactions d’une partie de la vie publique de l’Église, il m’est difficile de me soustraire à l’impression que certaines notions théologiques fondamentales demeurent souvent obscures, et que c’est l’une des raisons principales de la confusion et du manque de repères. C’est pourquoi ces pages sont conçues comme une petite analyse théologique des notions d’apparition et de vision, de leurs possibilités et de leur signification intérieures, puis de la notion de révélation privée, de sa place et de son rôle dans la vie de l’Église, et finalement du critère de discernement de ces phénomènes et de l’établissement de leur relation aux phénomènes parapsychologiques. À la fin, nous allons tenter de déterminer la place et le rôle de la Bienheureuse Vierge Marie dans le plan du Salut de Dieu, ainsi que le sens de ses nombreuses apparitions. Je souhaite en parler de manière générale, Medjugorje y jouant simplement un rôle de stimulateur.

LES NOTIONS D’APPARITION ET DE VISION EN THÉOLOGIE

La théologie, qui doit être au service de la foi et de la vie de l’Église, n’a pas une tâche facile à notre époque, il faut bien le reconnaître. On lui demande d’être au service de la pratique, mais cette pratique est souvent très complexe. D’un côté, il y a ceux qui entendent la pratique comme un comportement consolidé et figé, ne tolérant aucune nouveauté, et qui considèrent inutile, voire dangereuse, une théologie qui favoriserait la nouveauté. De l’autre côté, nous trouvons sous la notion de pratique une vraie expérience religieuse, liée soit aux apparitions et conditionnée par elles, soit aux différentes formes du renouveau charismatique contemporain. Il y a ici danger de considérer la théologie privée de vie et de capacité à convaincre, et de la rejeter au nom de l’expérience.

D’un côté comme de l’autre, la théologie ne doit jamais se permettre d’être sacrifiée à la pratique. Là où l’expérience de la foi fait défaut, elle doit la stimuler, et là où elle existe, elle doit veiller à ce qu’elle ne se s’engage pas dans les directions indésirables, « afin que rien de ce qui est juste dans ces expériences nouvelles, du point de vue de l’histoire du salut, ne soit perdu ou étouffé, mais aussi que rien de ce qui pourrait être incompatible avec le mystère de la vie chrétienne ne s’impose secrètement ».

On sait bien que dans les moments de crise du monde et de l’Église l’esprit religieux a fortement tendance à rechercher une expérience de l’au-delà aussi sensible et tangible que possible, expérience qui devrait représenter une consolation pour le temps présent et une promesse sûre pour l’avenir. La théologie détient ici le rôle irremplaçable de distinguer ce qui est ésotérique et pathologique de ce qui est sain et bon, de ce qui s’inscrit dans le dépôt de la foi et les voies stables du salut.

En effet, qu’entend la théologie par le terme d’apparition et de vision ? Au sens le plus large, ce sont des « expériences spirituelles dans lesquelles d’une manière naturelle, par le biais des sens, se rendent accessibles les réalités invisibles comme Dieu, les anges, même les saints, mais aussi les choses créées, le tout lié au but surnaturel du salut de l’homme. Ceci concerne également les événements éloignés dans l’espace et les événements passés ou futurs ». La saine tradition chrétienne n’a jamais douté de la possibilité de ces phénomènes, sachant qu’elle remettrait en question son image de Dieu qui était libre non seulement au début de la création du monde, mais qui garde pour toujours cette liberté à l’égard de sa création.

La Révélation ayant été accomplie avec le Nouveau Testament, Dieu, qui est à la fois partenaire du monde et de l’homme, a gardé sa liberté d’action dans l’histoire humaine, mais toujours dans la perspective de la caractéristique essentielle du Nouveau Testament, à savoir sa dimension eschatologique. Dieu lui-même doit respecter le fait que les derniers temps, ou les temps eschatologiques, ont commencé avec Jésus Christ, temps marqués par l’événement du Salut commencé avec lui. Dans ce laps de temps entre la résurrection du Christ et sa deuxième venue, Dieu ne peut élargir la Révélation dans le sens d’une nouvelle alliance, comme c’était le cas dans l’Ancien Testament, avant le Christ. Il ne peut qu’accomplir cette dernière intervention promise pour la fin des temps, par laquelle il conduira à sa plénitude le salut du monde déjà commencé ; avant cela, il peut certainement de diverses manières influencer la réalisation de ce salut. Une de ces manières est de se communiquer en image et en parole. Qui voudrait nier cela remettrait en question la liberté de Dieu et le caractère du christianisme en tant que religion révélée. « C’est pourquoi l’essence des apparitions et des révélations privées post-christiques doit être en mesure de pouvoir toujours se conformer – du point de vue de son contenu - à cette réalité eschatologique du salut. »

L’Église a toujours été prudente envers ces phénomènes, s’en tenant à l’exhortation néotestamentaire sur « le discernement des esprits ». (1 Co 12,10; 1 Jn 4,1; 1 P 5,8) Dans la définition donnée ci-dessus, il est précisé que, dans leur intention, ces phénomènes étaient liés au salut du monde. Le premier critère pour leur évaluation y est implicitement contenu. S’insèrent-ils dans les voies régulières du salut et les favorisent-ils, ou bien y sont-ils contraires et détournent-ils d’elles ? Il est assez facile de constater si ces phénomènes détournent de la dévotion à Jésus Christ, mettant Marie au centre de la dévotion d’une manière concurrentielle, ou bien s’ils conduisent les fidèles vers une écoute sincère de la Parole de Dieu et vers la vie sacramentelle. On sait bien qu’avant le Concile on a connu des partialités et des exagérations dans la mariologie et la dévotion mariale.

Un autre critère complémentaire concerne les voyants et leur manière de vivre la vision. Il nous faut garder en mémoire que certaines époques favorisent ces phénomènes, notamment les époques d’angoisse vitale et de crise religieuse. Aussi la théologie a le devoir de veiller sur ces phénomènes et de les accompagner, pour voir si les apparitions étaient « un écho du vide où l’homme s’écoute lui-même, ou bien une réponse dans laquelle il entend Dieu ».

Il faut également distinguer entre les vraies visions et la connaissance intuitive ou l’illumination intellectuelle qui peuvent être atteintes par la prière ou la méditation, et qui peuvent être oh ! combien profondes et impressionnantes.

VISIONS MYSTIQUES ET VISIONS PROPHÉTIQUES

Quant à leur objectif, la théologie distingue entre les visions mystiques et les visions prophétiques. Les premières concernent exclusivement une personne précise et sa croissance spirituelle personnelle, ce que fut le cas de tant de mystiques dans l’Église. Cela n’exclut cependant pas une certaine dimension publique que de telles visions peuvent revêtir à travers une dévotion postérieure éventuelle accordée à ces mystiques, s’ils sont élevés au niveau de bienheureux ou de saints. Dans ce sens, nous pourrions considérer les visions strictement privées comme des charismes au sens large. En revanche, les visions prophétiques ont dès leur début un caractère public. Elles sont un don ou un charisme accordé à une ou plusieurs personnes pour le bénéfice de toute l’Église. Il est demandé au voyant de s’adresser immédiatement à son entourage et finalement à l’Église tout entière avec le message reçu. Gemma Galgani est donnée en exemple caractéristique pour le premier type des visions, et M. M. Alacoque pour le deuxième.

Quant à l’expérience du voyant, une vision mystique est toujours plus forte et influence toujours plus intensément la vie privée du voyant, ce qui n’est pas toujours le cas des visions prophétiques. C’est compréhensible, parce que les visions mystiques ont été accordées à des personnes qui avaient généralement déjà atteint un degré enviable de sainteté, alors que les porteurs de visions prophétiques sont le plus souvent de simples fidèles choisis « par hasard », le plus souvent des enfants, encore immatures pour des expériences mystiques plus profondes. Aussi de telles visions n’influencent pas si fortement la personne du voyant, qui change plus lentement dans le sens de la sainteté de sa vie personnelle.

Puisqu’il s’agit en premier lieu d’un charisme donné pour les autres, le voyant a toujours besoin de quelqu’un de plus initié dans les secrets de la vie spirituelle qui le guidera dans ce sens là. Sinon, il risque un décalage entre le rôle qui lui est confié et la sainteté de sa vie personnelle. Comme les voyants sont le plus souvent des enfants, leurs visions - bien que revêtant un caractère corporel et objectif (communément dit tridimensionnel), comparées aux expériences mystiques - généralement presque exclusivement imaginaires (plus précisément des états intérieurs de l’âme), restent plus superficielles et n’ont jamais pour conséquence un changement rapide et soudain des fidèles auxquels le message a été adressé. Ce changement ne s’opérerait jamais si en même temps les porteurs des messages ne changeaient aussi en mieux ; or, comme nous l’avons dit, ils n’en sont pas capables s’ils ne sont pas aidés.

PHÉNOMÈNES NATURELS, PARAPSYCHOLOGIQUES ET SURNATURELS

Nous devrions nous poser sérieusement la question de savoir si nous ne sommes pas en train de limiter l’espace d’action libre de Dieu en exigeant - comme critère d’authenticité - l’évidence de la dimension extraordinaire du phénomène, dans le sens du dépassement ou de la mise hors jeu des lois ordinaires naturelles et du cours ordinaire de la vie. En partant du simple fait que les frontières humaines entre la sphère du naturel, du parapsychologique et du surnaturel ne représentent aucun obstacle pour Dieu, et que Dieu agit dans chaque bonne œuvre accomplie par l’homme, K. Rahner signale que la formulation « cette vision vient de Dieu » est en réalité assez vague et ambiguë. Puisque, du point de vue de son salut, l’homme peut découvrir la grâce de Dieu et une stimulation pour son salut personnel même dans les circonstances les plus diverses et dans un événement qui se laisse expliquer tout naturellement, on pourrait « accepter comme "fait par Dieu" et comme une grâce "même une vision qui se laisserait expliquer tout naturellement" », qui aurait son fondement immédiat et naturel dans les mécanismes psychiques, « à condition qu’elle se situe à l’intérieur des limites de la foi et de la morale chrétiennes, et qu’elle ne soit pas nuisible à la santé psychologique du voyant, mais l’élève moralement et religieusement... ».

Quant à la théologie, il n’y a aucun obstacle à ce que Dieu se serve des possibilités humaines entièrement naturelles pour réaliser des buts extraordinaires en vue du salut de l’homme. Il est difficile, impossible même, de répondre à la question de savoir pourquoi Dieu devrait toujours utiliser des voies extraordinaires pour ce qu’il peut obtenir par les capacités et les possibilités humaines ordinaires.

A l’encontre de la tendance à considérer aussitôt tous les phénomènes parapsychologiques comme négatifs, K. Rahner se demande très ouvertement : pourquoi ne pourrait-on pas orienter les capacités naturelles parapsychologiques d’une personne croyante, comme la télépathie, la voyance, la psychométrie etc., et toutes les autres capacités « normales », vers les objets de nature religieuse pour en faire ainsi une stimulation pour les actes religieusement significatifs, et pourquoi ces actes ne devraient-ils pas être évalués comme « faits par Dieu » et « grâce ». Autant de prémisses importantes pour une juste évaluation de la vision au sens particulier, c’est à dire ayant sa source dans une intervention spéciale de Dieu. Une telle vision, qui est régulièrement accompagnée d’un signe particulier compréhensible à tous, n’est donc dans aucun cas la seule vision authentique. À cette lumière s’impose vraiment la question : « Pourquoi, de la part de l’Église, n’aurait pas de sens la reconnaissance d’une vision qui serait, par exemple, limitée à la constatation que - par son contenu et par son influence sur le voyant et sur les autres - elle n’était que positive et dans ce sens "venait de Dieu", ou bien qu’elle était un écho légitime d’une réelle expérience mystique du voyant, correspondant aux normes de la foi et de la raison, sans que, dans les deux cas, l’Église présuppose une intervention vraiment miraculeuse de la part de Dieu ? »

Par conséquent : si une vision n’est pas accompagnée d’un signe miraculeux dépassant à l’évidence les lois naturelles et le cours ordinaire des événements, et si tout peut être expliqué comme un phénomène naturel ou parapsychologique, il n’y a pas encore de raison théologique de nier à une telle vision toute possibilité de venir de Dieu. En effet, la plus grande erreur est commise lorsqu’un ensemble, sans discernement, est hâtivement caractérisé comme possible ou impossible, comme fait par Dieu ou bien, au contraire, ruse diabolique ou illusion humaine. C’est pourquoi de nombreux théologiens, Rahner en tête, demandent une certaine « clémence » à l’égard des expériences des visionnaires, considérant qu’elles peuvent être accueillies comme « venant de Dieu » même lorsqu’il n’est pas possible d’accepter tous les détails qu’elles contiennent. Il faut également garder en mémoire que, même lorsque leur authenticité est d’une certaine manière déjà reconnue par l’Église (surtout selon les critères externes dont il sera question), cela ne signifie pas encore que chaque détail du contenu est exact, et que nous devons l’accepter. Des erreurs concernant l’image et le message transmis par une personne peuvent se glisser même dans les visions authentiques. Tout cela peut être conditionné par les circonstances du milieu, de l’époque, des connaissances théologiques, ainsi que par le tempérament qui se manifeste tout particulièrement dans la manière de transmission du message reçu...

K. Rahner remarque, par exemple, que le petit Francisco de Fatima n’a pas toujours entendu tout ce que la Vierge disait aux voyants : parfois il l’a seulement vue remuer ses lèvres, ce que Rahner ne considère pas comme un argument contre, mais au contraire comme un bon signe en faveur de l’authenticité des petits voyants.

Il ne serait peut-être pas inutile d’établir ici un parallèle avec les récits néotestamentaires des apparitions du Ressuscité. Marc décrit l’apparition aux femmes comme « un jeune homme vêtu d’une robe blanche » (Mc 16,5), Matthieu parle de « l’ange du Seigneur » (Mt 28,2) et Luc de « deux hommes en habit éblouissant » (Lc 24,4). Jean se rapproche le plus de lui en mentionnant « deux anges en vêtements blancs » (Jn 20,12). La science biblique y a découvert des intentions théologiques diverses de la part des évangélistes, et des traditions diverses dans lesquelles ils puisaient, mais nous nous demandons si cela explique tout ? Pourquoi les témoins du Ressuscité ne reconnaissent-ils pas en lui aussitôt Jésus, pourquoi apparaît-il « sous d’autres traits » (Mc 16,12), une fois comme un compagnon de route qu’ils ne peuvent reconnaître car « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc 24,16), une autre fois comme « esprit » (Lc 24,37) ou bien comme « jardinier » (Jn 20,15) ? En général, les disciples voient Jésus, mais ne savent pas que c’est lui jusqu’à ce qu’il parle (Jn 21,4), et quand ils le reconnaissent, il disparaît devant leurs yeux. Par conséquent, même ici, à la racine même de la Révélation, ce n’est pas une observation précise qui compte, mais le message et la foi.

Tout cela ne signifie-t-il pas que les apparitions et les visions en elles-mêmes sont des phénomènes très complexes et difficilement descriptibles, où il est difficile de tracer une limite entre l’événement objectif et l’expérience subjective des voyants ? Dieu - même quand il se révèle aux hommes de la manière la plus évidente - reste inexprimable - inefabilis.

Dans une révélation, Dieu veut se communiquer et se révéler aux hommes, mais jamais se laisser approprier, être emprisonné par eux. Aussi dès qu’il est question d’une révélation, les questions et le manque d’évidence restent nombreux. Il ne peut en être autrement, puisqu’aucune connaissance intellectuelle ne peut remplacer le rôle de la foi. Elle a joué un rôle décisif dans les miracles que Jésus a accomplis, dans la reconnaissance du Ressuscité et dans l’annonce du message de la Résurrection. Elle garde le même rôle dans toutes les visions et apparitions postérieures, liées à ces visions. Il faut, bien sûr, éviter l’extrême et ne pas comprendre cette signification de la foi dans le sens qui a été reproché au christianisme : « Le miracle est l’enfant préféré de la foi ! » Donc, non pas une foi qui invente le miracle, mais une foi comme disponibilité inconditionnelle à reconnaître et à accueillir l’action surnaturelle de Dieu. La foi doit, bien évidemment, s’accompagner de certains signes objectifs offerts par le phénomène, signes qui font partie des critères du discernement.

LES CRITÈRES QUI CONCERNENT L’ÉGLISE

En ce qui concerne la communauté des croyants et sa réaction à l’appel des voyants, il ne peut y avoir d’autres ou de nouveaux critères que ceux déjà mentionnés. Du point de vue de la théologie, nous ne pouvons appliquer que « la règle pour le discernement des esprits » (1 Co 12,10). Nous trouverons davantage à ce sujet chez l’évangéliste Jean : « Bien-aimés, ne vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour voir s’ils viennent de Dieu, car beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde. À ceci vous reconnaissez l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu ». (1 Jn 4,1-3; cf. Jn 5,1-4) Il est vrai que ce texte révèle la spécificité de la communauté johannique où l’hérésie gnostique niait l’incarnation de Jésus ; il peut néanmoins servir de critère général, dans la mesure où il exprime la signification centrale de Jésus Christ pour le salut de l’homme. Chez Paul à Corinthe il est également question de la place et du rôle de Jésus Christ dans la vie des fidèles, mais sous un autre angle. « Les pneumatiques de Corinthe n’ont pas de problèmes avec les fausses doctrines, mais avec des machinations démoniaques des païens », ce qui se manifeste directement dans la vie morale de certains membres de la communauté. Dans les deux cas, ces motions ne peuvent venir de l’Esprit de Dieu mais seulement du Malin.

Dans un autre passage, l’apôtre parle du discernement des charismes, mais sous un angle différent, à savoir de leur utilité pour la construction de la communauté (1 Th 5,19-21; cf. 1 Co 14). Plus les dons contribuent à la construction et à l’affermissement de la communauté, plus il est certain qu’ils sont le fruit de l’Esprit, mais s’ils détruisent la communion, ils ne peuvent que venir du Malin. Bien évidemment, il est question uniquement de la vraie communion dans la foi et la charité. C’est pourquoi le même Paul peut dire : « Il faut bien qu’il y ait aussi des scissions parmi vous, pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester parmi vous. » (1 Co 11,19)

Il y a une autre invitation générale à la vigilance et à la sobriété (1 P 5,8), et c’est tout ce que le Nouveau Testament nous propose au sujet de cette question délicate. Sans offrir beaucoup de paroles concrètes, le Nouveau Testament contient un fil rouge qui traverse tous ses écrits et qui exprime les conditions essentielles de l’action de Dieu : c’est cette ouverture et cet empressement à l’égard de l’Esprit de Dieu que nous trouvons le plus fortement exprimée chez Marie. Cette ouverture et cette réceptivité est fondée sur l’empressement et sur la disponibilité à tout ce qu’Il voudra donner à l’homme et tout ce qu’Il voudra lui demander.

À la lumière de ces quelques lignes directrices fondamentales tirées du Nouveau Testament, il nous faudra appliquer à l’Église, à qui les voyants transmettent leur message, les mêmes critères que nous avons appliqués aux voyants. Si l’apparition est un événement salvifique dont le but est la grâce, il est très important d’observer l’écho de cette apparition parmi les fidèles et les fruits qu’il porte. La dimension christologique du salut, plusieurs fois soulignée, doit ici aussi être le critère. La question décisive est de savoir si une apparition rapproche du Christ ou éloigne de lui. Si le Christ était mis à l’écart en faveur du développement, même très important, d’autres formes de dévotion, le phénomène devrait être approché avec la plus grande méfiance.

En d’autres termes, plus le message se rapproche de celui de Jésus offert par le Nouveau Testament, qui est un appel à la conversion, plus grande sera la probabilité de l’authenticité. Nous avons déjà constaté qu’une révélation venant par le biais d’une apparition privée ne peut avoir qu’un caractère stimulant par rapport à ce qui est déjà contenu dans la Révélation. C’est pourquoi il est logique qu’une certaine parcimonie et une certaine brièveté du message doivent être prises comme un bon signe, surtout si un tel message trouve un écho dans le peuple de Dieu et porte des fruits de conversion.

Ici, comme dans le cas des voyants, l’expérience de la consolation et de la paix jouent un rôle important. Sans aucun doute, la paix est un des thèmes centraux de toute la Bible. Elle résume tous les dons que Dieu accorde aux hommes, au point que l’Ancien et le Nouveau Testament ont pu en formuler des personnifications. Parlant de Yahvé, l’écrivain vétérotestamentaire dit qu’il était la paix (Jg 6,24), et saint Paul dit de Jésus Christ qu’il est notre seule paix ! (Ep 2,14) Sa naissance est accompagnée par le message de paix (Lc 2,14), il bénit les artisans de paix (Mt 5,9), Ressuscité, il donne à ses disciples d’abord la paix. (Lc 24,36; Jn 20,19; 21,26) Cependant, cette paix du Christ ne se réalise pas de manière automatique et inconditionnelle. Elle est toujours le fruit de l’accueil de sa parole et de la conversion. Jésus ne connaît aucune autre paix, aucune fausse paix à tout prix. Il n’hésite pas à comparer sa parole au glaive qui divise (Mt 10,34; Lc 12,51). Pour ceux qui l’accueillent, elle est la source de la paix, pour ceux qui le méprisent, une source d’angoisse.

SIGNIFICATION THÉOLOGIQUE DES APPARITIONS MARIALES

Tout ce qui a été dit jusqu’à présent concernait les apparitions en général. Les apparitions mariales qui sont les plus fréquentes, et de ce fait méritent une attention particulière, représentent un cas à part. Ceux qui doutent à priori de la possibilité des apparitions en tant que telles mettent les apparitions mariales généralement en lien avec une dévotion exagérée et une vénération maladive. On ne peut nier que de tels phénomènes ont toujours existé dans l’Église, mais ils n’ont jamais été encouragés par elle, et n’ont jamais pu reléguer au deuxième plan la saine tradition de l’Église à propos de la place et du rôle de Marie dans l’Église. Abandonnant l’idée de publier un document consacré exclusivement à Marie, et prenant la décision d’en parler à l’intérieur de la Constitution sur l’Église, le Concile Vatican II a souligné encore plus clairement la dimension ecclésiale de Marie et sa place dans le cours de la Rédemption. C’est ainsi que l’Église a mis en exergue sa fidélité à la saine tradition qui prend ses racines dans l’Église primitive.

Dans cette même perspective, le Pape Paul VI, parlant de la dévotion mariale aujourd’hui, a souligné qu’elle doit « montrer avec clarté la place que Marie occupe dans l’Église ».

Marie est toute pour le Christ et pour son Église, et c’est pourquoi il n’y a pas de saine dévotion mariale qui ne conduit au Christ et à la construction de l’Église. Comment situer dans ce contexte et comment évaluer les apparitions mariales de plus en plus fréquentes depuis deux siècles ? Certains théologiens permettent la possibilité des apparitions et des révélations privées, mais la fréquence des apparitions mariales leur pose un problème. Ce phénomène ne peut être observé qu’à la lumière du rôle unique de Marie dans l’Église, et de sa place, déjà mentionnés. Elle ne peut être observée séparément, en elle-même, comme nous observons les saints. Elle est tout entière plongée dans le plan du Salut et se tient en relation la plus intime avec les réalités centrales du salut : le Christ en tant que Sauveur et l’Église en tant que communauté des sauvés.

L’adhésion de Marie au message de l’ange ne contenait pas seulement sa disponibilité à donner la vie à la deuxième personne divine, mais également son adhésion à tout le plan du salut, dont, à cet instant, elle ne pouvait saisir la portée par la raison. Son rôle ne s’achève même pas avec le Calvaire, car la parole, par laquelle Jésus confie sa Mère à son disciple et son disciple à sa Mère (Jn 19,26) à cet instant grave du drame du salut, n’est pas seulement une expression de son souci filial de la Mère et du disciple, mais possède une signification beaucoup plus profonde. Elle signifie un attachement durable du destin de Marie à celui de l’Église.

La sainteté personnelle de Marie et sa mission dans le plan du salut ne sont pas deux réalités rapprochées par un jeu de circonstances, mais elles représentent un tout inséparable. K. Rahner explique cette réalisation d’elle-même et son service dans la réalisation du salut général comme une unité entre la sainteté personnelle et l’apostolat qui en découle nécessairement, où Marie est « de manière extraordinaire une représentation officielle de l’Église ».

Ce lien étroit avec l’Église ne cesse pas non plus à la fin de sa vie terrestre. En effet, sa sollicitude pour l’Église de son Fils est d’autant plus forte là où - comme seul membre de l’Église - elle se trouve déjà dans son corps glorieux, pendant que les autres sont encore en chemin, ayant besoin d’aide. Tomislav Šagi Bunić dit bien que « dans le texte conciliaire, l’Assomption de Marie dans la gloire céleste n’est pas comprise comme un départ et une séparation, mais comme un accueil des possibilités florissantes, afin de poursuivre de manière plus élevée son rôle actif dans l’histoire du salut, bien évidemment en lien adéquat avec le Seigneur Christ ».

Parmi ces « possibilités florissantes » se trouvent les apparitions mariales qui occupent certainement une place privilégiée. Sans égard au message, elles ont, en tant que telles, une signification théologique. Tout comme Jésus, qui n’a pas seulement annoncé la venue du royaume de Dieu dans l’avenir, mais a garanti son commencement partout où sa parole a été accueillie, le salut n’est pas une idée, mais la réalité du moment présent. En Marie, il trouve un exemple concrètement réalisé. Elle représente la vie humaine parfaitement réussie selon le désir de Dieu, en ce qui concerne son début et son accomplissement dans la gloire céleste. C’est pourquoi chaque apparition mariale a sa signification en premier lieu par le fait de nous révéler ce mystère de sa vie et de manifester son rôle dans l’histoire du salut. Elle n’a pas lieu pour Marie elle-même, mais pour l’Église. En nous manifestant sa gloire, Marie nous révèle les possibilités qui nous sont offertes par le mystère de son Fils.

Dans le désir d’en donner une illustration à travers l’image de notre vie humaine, L. Scheffczyk dit : « C’est comme si une personne proche seulement spirituellement et intentionnellement avait tout à coup une présence réelle dans l’espace vital humain, était présente dans toute la taille de sa personne, de sa signification, de son rôle et de son exigence. Une apparition de Marie révèle de manière réelle et personnelle tout le mystère de Marie devant le voyant, et par son intermédiaire, devant les fidèles.

Il n’est donc pas exagéré de dire qu’en elle-même une apparition de Marie est le plus grand message pour l’Église, comme un encouragement sur son chemin vers l’éternité, mais aussi comme une obligation. Puisque le temps de l’Église est un temps eschatologique, et que Marie est la seule à ne pas connaître cette tension eschatologique entre le salut donné et le salut encore inaccompli, son action doit toujours être considérée dans ce contexte. Elle aura « toujours un caractère rétrospectif, visant le mystère du Christ, mais sera aussi toujours tournée vers l’avenir et vers l’accomplissement »... C’est pourquoi ses apparitions « ont une dimension eschatologique particulière et une tendance vers la fin définitive des temps », ce qui ne doit pas être compris dans le sens d’une fin proche, et surtout pas celle qui peut être calculée avec précision.

En tant que celle qui a une fois pour toutes lié son destin à celui de son Fils, et par lui à la communauté des sauvés, Marie ne peut rester de côté pendant que l’Église avec la création toute entière « gémit en travail d’enfantement » (Rm 8,22). Par sa faveur et son amour maternel, elle transmet la lumière à l’Église qui traverse les épreuves de ce monde, lumière qui vient de la lumière du Christ. En tant que personne humaine, Marie ne peut donner que ce qu’elle a reçu elle-même, et c’est pourquoi ses apparitions « n’ont essentiellement qu’un caractère de stimulations dynamiques pour le cœur et la volonté des fidèles, pour incarner d’une nouvelle manière dans un temps précis la vérité de la Révélation déjà reconnue ».

Voilà pourquoi ses apparitions ont toujours trouvé plus d’écho dans les cœurs des fidèles que dans les réflexions des théologiens. À la lumière de la logique et de la dynamique du salut dans l’Église, il est tout à fait compréhensible que Marie soit le membre le plus actif de l’Église, par la plénitude de sa sainteté à la fois l’archétype, la mère et l’idéal définitif vers lequel l’Église est en marche.

Sans tenir compte de la confusion initiale et des malentendus, toutes les apparitions mariales ont eu une influence forte sur la vie de l’Église, commençant par de nouvelles formes de dévotion, en passant par le renouveau de la vie sacramentelle, jusqu’à l’approfondissement de l’image de l’Église et de l’amour envers elle. En réalité, la vénération de Marie n’est rien d’autre qu’une « forme de la vénération du mystère de l’Église qui voit en Marie son archétype et sa perfection déjà réalisée ».

Essentiellement, « l’Église n’est rien d’autre qu’une copie de Marie..., une empreinte vivante de la figure de Marie dans la communauté chrétienne ».

Notes :

R. Schnackenburg, Neutestamentliche Theologie, Der Stand der Forschung, München, 1965, p.12

W. Kasper, Einführung in den Glauben, Meinz, 3, 1973, p. 10

Cité selon J. Ratzinger (ed.) Die Frage nach Gott, Questiones disputatae 56, Herder, 1973, p. 5

H. U. von Balthasar, Klarstellungen, Herdertaschenbücherei 393, Freiburg, 1971, p. 70

Cf.: L. Scheffczyk, Grundlagen von Erscheinungen und Prophezeiungen, dans : Fatimakongress in Augsburg 1981. Ein Bericht zesammengestellt von P. Luis Kondor SVD, Druckerei : Grofica Amondina – Torres Novas – Portugal, 1982, p.16-40, 17

T. J. Šagi-Bunić, Vrijeme suodgovornosti 1, Zagreb, 1981, p. 137

L. Scheffczyk, Ibid, 19

K. Rahner, Visionen und Prophezeiungen, Questiones disputatae 4, Freiburg, 1958, 26

Cf. : R. Brajčić, Što se danas zbiva oko Marije ?, O@ 5 (1976), 402-420, p. 405 ss

K. Rahner, ibid, p. 9

K. Rahner, Visionen und Prophezeiungen, p. 43

K. Rahner, ibid, p. 43, surtout notes 43 ; cf. aussi A. Kusić, Parapsihologija u svjetlu znanosti i teologije (II), CuS 3 (1982), 220-231, p. 228 ss

K. Rahner, ibid, p. 46

K. Rahner, ibid, p. 74

K. Rahner, ibid, p. 74, surtout note 96

L. Scheffczyk, ibid, p. 27

R. Schnackenburg, Die Johannesbriefen, HThK zNT XIII/3, Freiburg 1970, 219 ss

H. U. von Balthasar, Vorerwagungen, p 330.

Marialis Cultus, N° 28

Cf. M. Schmauss, Mariologie (Katholische Dogmatik V,) München, 1955, p. 248 ; O. Semmelroth, Maria, dans : Handbuch teologischer Grundbegriffe II, München, 1963, p. 120 ; B. Duda, Marija i božansko promaknuće čovjeka, BS 1 (1974), p. 221

K. Lehman – A. Raffelt (ed.), Rechenschaft des Glaubens, K. Rahner – Lesebuch, Freiburg/Zürich, 1979, p. 309 ss

T. J. Šagi Bunić, Vrijeme suodgovornosti 1, Zagreb, 1981, p. 317

Cf. B. Duda, ibid, p. 231

L. Scheffczyk, ibid, p. 35

L. Scheffczyk, ibid, p. 36

Ibid, p. 37

Ibid, p. 38 ; Cf. B. Duda, ibid, p. 231

R. Brajčić, Što se danas zbiva oko Marije ?, O@ 5 (1976), p. 405 ss

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Dr. fr. Ljudevit Rupčić, ofm

LA RÉVÉLATION « PRIVÉE » ET MEDJUGORJE

Le terme de révélation « privée » s’est établi en théologie depuis très longtemps. En face de lui se trouve le terme de révélation « publique ». La révélation publique serait donnée dans la Bible, et la révélation privée en dehors de la Bible. Il serait donc plus exact de parler de révélation biblique et de révélation extrabiblique. Accorder plus d’honneur et de signification à la première qu’à la seconde ne serait vraiment pas justifié puisque, si les deux sont vraies, si les deux viennent de Dieu, elles sont toutes les deux d’origine divine, et donc de valeur égale. L’une comme l’autre, Dieu les a destinées aux hommes, et Il veut que les hommes les accueillent toutes les deux. S’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait aucune raison qu’Il leur parle. S’il y a une différence justifiable entre les deux, ce n’est jamais dans le sens que nous serions obligés de nous en tenir à l’une et non à l’autre. Nous sommes obligés de nous en tenir à toutes les deux. Toute personne qui en a pris connaissance et qui a trouvé suffisamment de raisons et de certitude morale pour les considérer comme vraies, est obligée de s’y tenir.

La révélation contenue dans la Bible est appelée « canon », c’est à dire « règle de la foi ». C’est en fonction d’elle que l’on prend la mesure de l’authenticité de toute autre révélation. Tout ce qui serait contraire à la révélation biblique serait donc faux ou mensonger. La révélation biblique offre ainsi la garantie de la certitude dans le sens négatif, à savoir qu’une révélation qui lui serait contraire serait fausse. L’authenticité de la révélation biblique est garantie par le Magistère de l’Église, à qui le Christ a donné l’Esprit Saint pour la garder fidèlement et l’interpréter infailliblement. En ce qui concerne la révélation extrabiblique, le Magistère ne détient pas ce pouvoir directement mais indirectement : s’il constate qu’une révélation extrabiblique est contraire à la révélation biblique, il est certain qu’elle n’est pas d’origine divine. Car « si nous ou un ange du ciel vous prêchait un autre Évangile que celui qui je vous ai transmis, qu’il soit anathème ! » (Gal 1,8) Et pourtant, même si le Magistère de l’Église confirmait une révélation extrabiblique, l’homme ne serait pas tenu de l’accueillir comme vraie. S’il trouvait des raisons personnelles à cela, il aurait à l’accepter fide divina. S’il n’en trouvait pas, il pourrait soit la rejeter, soit en douter. Dans ce cas, il ne serait pas obligé de s’y tenir fide catholica.

L’histoire de l’Église démontre qu’il y a toujours eu des révélations extrabibliques. Par leur structure ou leur forme, elles sont pareilles aux révélations bibliques et régulièrement liées aux apparitions ou aux visions. Il s’agissait généralement d’apparitions de Jésus, d’anges et de saints, et en ces derniers temps surtout de la Bienheureuse Vierge Marie.

Les visions sont associées aux locutions (auditiones). Les plus récentes apparitions de la Mère de Dieu à La Salette, à Lourdes, à Fatima et à Medjugorje le confirment. Hormis la vision de Notre-Dame, les voyants entendent ses messages qui appellent généralement à la conversion, à la prière - surtout celle du rosaire - et à la pénitence. Par cela, elles visent le renouveau et l’épanouissement de la vie ecclésiale, plutôt que de donner de nouvelles vérités de la foi.

Personne ne peut faire taire Dieu. Il n’a pas fini de converser avec les hommes ni de se révéler à eux. Cela continue de différentes manières dans l’Église et dans le monde. Au sens plus large, le discours de Dieu prend la forme d’une vision, ce qui est incontestable. Aussi les révélations extrabibliques sont non seulement possibles, mais aussi réelles. L’Esprit de Dieu que le Christ a envoyé à l’Église lui rappelle continuellement les paroles de Jésus et la conduit vers la vérité tout entière (Jn 16,13). Il ne le fait pas seulement à travers la hiérarchie, mais aussi à travers les charismes et ceux qui les portent, parce que l’Église n’est pas seulement hiérarchique mais aussi charismatique. Aussi l’Esprit Saint ne dépend pas de la hiérarchie, mais la hiérarchie dépend de l’Esprit Saint. Il est libre et Il souffle où Il veut. Il donne à l’Église des inspirations et Il la conduit, y compris à travers les charismatiques. Ni la hiérarchie ni les charismatiques ne peuvent s’approprier le droit exclusif de parler et d’agir au nom de l’Esprit Saint. Leurs ministères proviennent de ce même Esprit, et ils doivent s’accorder. C’est pourquoi ni la hiérarchie ni l’Église ne doivent être autosuffisantes et indifférentes à l’égard des visions, des apparitions et des révélations. La hiérarchie ne doit ni les rejeter, ni seulement tolérer, mais les accueillir et en prendre soin, sinon elle rejetterait l’Esprit Saint Lui-même.

La vision et la révélation font partie du charisme prophétique sans lequel l’Église ne peut exister, non parce qu’à la suite de la révélation biblique on aurait besoin d’une nouvelle doctrine ou d’une nouvelle vérité, mais parce qu’on a besoin d’une nouvelle lumière, d’une meilleure compréhension de cette même doctrine ou vérité, et surtout parce que l’action humaine a besoin de nouvelles orientations et de nouveaux élans.

Tout au long de l’histoire, la révélation extrabiblique a dû affronter des attitudes critiques plus ou moins exprimées, mais les débats les plus importants et les plus nombreux ont commencé au début des Temps Modernes. Selon eux, le meilleur signe d’authenticité de la révélation et de la vision extrabiblique était sa conformité à la révélation biblique. Celle-ci affirmée, le contenu, qui dépassait les capacités du voyant, parlait beaucoup en faveur de l’authenticité de la révélation extrabiblique. La santé psychique et physique du sujet joue ici un rôle important. La sainteté personnelle et l’état de grâce contribuent à son authenticité, sans être nécessaires pour autant : même les défauts moraux importants ne constituent en principe aucun obstacle à l’authenticité de la révélation. L’héroïsme moral du sujet de la vision contribue de manière positive à l’authenticité de la révélation extrabiblique. Les circonstances concomitantes y ont aussi une signification, bien que les erreurs concomitantes ne soient pas nécessairement considérées comme un critère négatif. À ces critères internes s’ajoutent les critères externes : le miracle et l’approbation de l’Église. Contre l’authenticité de la vision parlerait l’implication dans des questions litigieuses ou politiques, parce que les visions sont au service du Royaume de Dieu, et non de la curiosité ou des objectifs d’ici-bas.

Les révélations extrabibliques n’apportent généralement aucune nouvelle vérité, mais probablement seulement une meilleure connaissance des vérités révélées par la Bible, et apportent très certainement l’exigence de leur meilleure et plus urgente application à une situation particulière de l’Église ou des groupes en son sein. Les révélations extrabibliques veulent généralement stimuler la foi et la conversion, et ainsi conduire vers le salut. Elles sont des exigences et des stimulations plus que des affirmations. Leur but est d’orienter le comportement des gens vers Dieu. Dans ce sens, Thomas d’Aquin dit : « Quand il n’y aura plus de révélations, le peuple sera privé de guidage » (Summa II-II q.174a.6). Aussi y a-t-il toujours eu des prophètes dans l’Église, prophètes qui, sans proclamer une nouvelle doctrine, ont orienté l’action humaine. Le même St Thomas d’Aquin souligne : « La révélation est donnée pour le bien de l’Église. » (Summa II-II q.172a.4) Elle invite à une vie chrétienne plus authentique et désigne les besoins et les moyens prioritaires. Elle est une réponse du Ciel aux questions spécifiques de l’époque, et aide davantage que je ne sais quel effort intellectuel et théologique.

Les révélations extrabibliques sont à la fois extraordinaires et frappantes, aussi attirent-elles généralement plus d’attention que l’annonce ordinaire des vérités bibliques et des directives de l’Église : de ce fait, elles ont un effet de « thérapie de choc ». Il est bien connu que les apparitions à Lourdes, Fatima et Medjugorje ont intensifié la dévotion et réveillé la vie spirituelle dans le monde entier. Elles ont beaucoup contribué au retour de la confession et à l’adoration de l’Eucharistie.

Une accentuation trop grande de la révélation extrabiblique au détriment de l’Évangile ne serait ni saine ni normale. La révélation biblique prime toujours, mais la révélation extrabiblique ne doit pas non plus être rejetée, simplement parce qu’elle vient aussi de Dieu et qu’à travers elle, Dieu veut dire quelque chose à l’homme. C’est pourquoi ici, comme partout, nous sommes obligés de nous tenir à la parole de Dieu.

LES APPARITIONS ET LES VISIONS DE MEDJUGORJE

Depuis le 24 juin 1981 jusqu’à ce jour, six voyants de Medjugorje (Ivanka Ivanković-Elez, Mirjana Dragićević-Soldo, Vicka Ivanković, Marija Pavlović-Lunetti, Ivan Dragićević et Jakov Čolo) affirment unanimement que Notre-Dame leur apparaît. Ils la voient tous les jours, à l’exception d’Ivanka et de Mirjana qui la voient une fois par an, Ivanka le jour de l’anniversaire des apparitions, et Mirjana le jour de son propre anniversaire. Depuis le début des apparitions, on a tenté de différentes manières de confirmer l’authenticité de ces visions et apparitions. Hormis la constante affirmation des voyants, on a tenté d’obtenir des preuves objectives scientifiques et théologiques de l’authenticité des apparitions. Le régime communiste alors au pouvoir, opposé à la nouvelle des apparitions de Notre-Dame pour des raisons idéologiques et athées, a tenté de prouver dès les premiers jours, à l’aide de médecins de Čitluk et de Mostar, que le discours sur les apparitions était réductible à un simple enfantillage et à des propos d’enfants malades. Lorsque ces médecins établirent que les enfants étaient en parfaite bonne santé, les communistes réunirent une commission composée de douze médecins et psychiatres chargés tout simplement de déclarer que les enfants étaient des malades mentaux. Il est significatif que, malgré la pression, les membres de la commission ne l’ont pas fait, tant il était évident que les enfants étaient sains.

De nombreuses commissions inofficielles et officielles se succédèrent ensuite qui tentèrent d’établir la vérité sur ces apparitions avec plus d’honnêteté, à l’exception des deux commissions formées par Mgr Pavao Žanić, évêque local : il ne leur demanda pas d’étudier les phénomènes de Medjugorje, mais de confirmer son opinion négative qui n’avait aucun fondement dans les apparitions elles-mêmes. Afin de s’assurer du « résultat » de l’enquête, il se nomma lui-même président de la commission chargée de penser et de dire ce qu’il pensait et disait, sans argumentation. D’autres, contrairement à Mgr Žanić et à ses commissions, ont examiné les voyants et ce qui se passait à Medjugorje avec plus de compétence. Après que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, avec à sa tête le Cardinal Ratzinger, a rejeté les « conclusions » des commissions du Mgr Žanić en raison de leur incompétence et de leur absence de fondements, elle ordonna à la Conférence des Évêques de Yougoslavie de créer une autre commission qui s’occuperait des apparitions de Medjugorje avec plus de sérieux. Cette commission a fait preuve de plus de responsabilité, mais ne s’est pas suffisamment impliquée dans la recherche. Elle n’a constaté aucune fausseté dans ces apparitions : optant pour une solution « à la Salomon », elle a déclaré ne pas avoir encore pu constater de preuves quant au caractère surnaturel des apparitions. C’est la position qui a été adoptée par la Conférence des Évêques de Yougoslavie. En raison de la conviction positive de plus en plus généralisée à propos de l’authenticité de ces apparitions - tout particulièrement à cause des dons spirituels exceptionnels constatés dans le monde entier - elle s’est trouvée obligée d’accepter Medjugorje comme un sanctuaire et de s’impliquer davantage dans les questions du bon déroulement des dévotions et d’accompagnement des demandes spirituelles des pèlerins à Medjugorje.

La commission qui a examiné les événements de Medjugorje avec la plus grande compétence et expertise était une commission internationale franco-italienne scientifique et théologique « sur les événements extraordinaires qui se déroulent à Medjugorje ». Les recherches de cette équipe, composée de dix-sept experts en sciences naturelles, de médecins, de psychiatres et de théologiens, ont abouti le 14 janvier 1986, à Paina près de Milan (Italie), à une conclusion en 12 points :

Les tests psychologiques permettent d’exclure avec certitude toute illusion ou supercherie chez les voyants individuellement et ensemble.

Les examens médicaux, les tests, les observations cliniques etc., permettent d’exclure toute possibilité d’hallucinations pathologiques chez les voyants individuellement et ensemble.

Les recherches effectuées préalablement permettent d’exclure une interprétation purement naturelle des manifestations dont il est question chez les voyants individuellement et ensemble.

Les informations et les observations qui peuvent être documentées permettent d’exclure la possibilité que ces manifestations soient d’ordre hors-naturel, c’est à dire sous influence diabolique, chez les voyants individuellement et ensemble.

Les informations et les observations qui peuvent être documentées permettent d’affirmer qu’il y a une correspondance entre ces manifestations et celles généralement décrites dans la théologie mystique.

Les informations et les observations qui peuvent être documentées permettent de dire que les voyants progressent au plan spirituel, ainsi que dans les vertus théologales et morales, depuis le début de ces manifestations jusqu’à aujourd’hui.

Les informations et les observations qui peuvent être documentées permettent d’exclure que les enseignements ou le comportement des voyants aient jamais été en nette contradiction avec la foi et la morale chrétiennes.

Les informations et les observations qui peuvent être documentées nous permettent de parler de bons fruits spirituels dans le peuple impliqué dans l’action surnaturelle de ces manifestations et attiré par elles.

Après plus de quatre ans, à la suite de ces manifestations, divers courants et mouvements sont nés à Medjugorje. Ils ont une influence sur le peuple de Dieu dans l’Église, influence qui s’accorde parfaitement à la doctrine et à la morale chrétiennes.

Après plus de quatre ans, on peut parler de fruits spirituels permanents et objectifs, fruits portés par les mouvements nés à Medjugorje.

Il est possible d’affirmer que toutes les initiatives bonnes et spirituelles de l’Église, en parfait accord avec l’authentique Magistère de l’Église, trouvent un support dans les événements de Medjugorje.

Par conséquent, on peut conclure que, après un examen approfondi des protagonistes, des faits et de leurs effets, non seulement dans le cadre local, mais également par rapport aux échos retentissant dans l’Église universelle, il est bon pour l’Église de reconnaître l’origine surnaturelle et donc la finalité des événements de Medjugorje.

Jusqu’à présent, c’est la recherche la plus consciencieuse et la plus complète des phénomènes de Medjugorje, et de ce fait la plus positive du point de vue scientifique et théologique.

D’autre part, un travail très sérieux de recherche sur les voyants a été entrepris par une équipe d’experts français dirigée par le professeur Henri Joyeux. À l’aide de l’équipement et des compétences les plus modernes, cette équipe a examiné les réactions intérieures des voyants avant, pendant et après l’apparition, ainsi que la synchronisation de leurs réactions au niveau oculaire, auditif, cardiaque et cérébral. Les résultats obtenus par cette commission sont très significatifs. Ils ont démontré que l’objet de l’observation se trouve à l’extérieur des voyants et que toute manipulation externe ou toute entente entre les voyants sont exclues. Les résultats des electroencéphalogrammes individuels et d’autres réactions ont été rassemblés, traités et publiés dans un ouvrage. (H. Joyeux - R. Laurentin, Études médicales et scientifiques sur les apparitions de Medjugorje, Paris 1986)

Les résultats de ladite commission ont confirmé les conclusions de la commission internationale et ont prouvé que les apparitions dont témoignent les voyants constituent un phénomène qui dépasse la science moderne et qui, selon toutes les indications, se situe à un autre niveau.

À propos des recherches scientifiques des apparitions de Medjugorje, il est important de se rappeler que - dans toute l’histoire des apparitions - aucunes n’ont jamais été examinées aussi amplement ni avec tant de rigueur scientifique que celles de Medjugorje. Si l’on compare les recherches de Lourdes et de Fatima avec celles faites à Medjugorje, on n’y trouve pratiquement aucune ressemblance. Aucun autre voyant n’a jamais été examiné avec autant de rigueur et autant de succès, ce qui, d’ailleurs, autrefois n’était pas possible, vu le niveau scientifique et l’insuffisance des moyens techniques de l’époque. D’autre part, il est également très significatif de remarquer qu’à Lourdes il n’y avait qu’une seule voyante, Bernadette Soubirous, à Fatima trois voyants, et à Medjugorje six. Il est plus facile de manipuler un seul voyant que plusieurs. De même, une confirmation massive a plus de valeur qu’une confirmation individuelle. Au sujet de Bernadette, le médecin a dit qu’elle était psychologiquement fragile. En ce qui concerne les voyants de Medjugorje, une santé exemplaire a été constatée. Lorsqu’on y ajoute des qualités morales positives et la concordance de leurs témoignages, il ne peut y avoir de doutes significatifs que les apparitions dont les voyants témoignent soient vraiment surnaturelles et dignes de foi.

Nous en trouvons une confirmation dans le contenu des messages de Medjugorje. Outre les cinq messages principaux sur lesquels les voyants sont tous d’accord, Notre Dame donne chaque mois à Marija Pavlović des messages destinés au monde entier. Bien que leur quantité représente aujourd’hui le volume d’un livret, on ne peut rien y trouver qui contredirait un tant soit peu la doctrine et la foi chrétiennes. Bien au contraire : avec les messages principaux, ils représentent un vrai trésor de théologie pratique et accessible, dont 80% de prêtres de notre époque n’atteindraient pas le niveau. C’est d’autant plus significatif que Marija, comme les autres voyants, est une croyante tout à fait moyenne qui n’a même pas pu suivre les cours ordinaires de catéchisme, et encore moins acquérir une formation théologique pratique. Même les insinuations de l’évêque et d’autres adversaires de Medjugorje, à savoir que les auteurs des messages seraient les franciscains, parlent en faveur du contenu extraordinaire des messages. C’est une confirmation indirecte de leur caractère exceptionnel.

LES MIRACLES

Au début, les apparitions de Medjugorje ont été accompagnées de nombreux phénomènes étranges dans le ciel et sur la terre, en particulier de guérisons miraculeuses. Avec environ mille pèlerins, j’ai personnellement assisté à une danse du soleil inhabituelle. Cette manifestation a été tellement étrange et évidente que tout le monde, sans exception, l’a qualifiée de miracle. Personne n’est resté indifférent, j’en ai acquis la certitude en interrogeant les témoins oculaires. La joie, les larmes et les témoignages des personnes présentes le confirmaient. Leurs paroles indiquaient qu’ils considéraient cette manifestation comme une confirmation de l’authenticité des apparitions et un encouragement à y répondre en les accueillant. Et c’est précisément l’objectif véritable des miracles : aider les gens à croire et à vivre selon la foi, car les miracles sont au service de la foi et du salut des hommes.

En ce qui concerne les phénomènes lumineux à Medjugorje, un professeur de Vienne (Autriche), expert dans ce domaine, m’a avoué les avoir étudiés sur place pendant une semaine. À la fin, il m’a dit : « La science n’a pas de réponse à ces phénomènes ». Bien que le jugement sur les miracles ne relève d’aucune science naturelle ni de la science en général, mais de la théologie et de la foi, l’évaluation de la science est très importante : là où la science s’arrête, la foi continue.

Il est très significatif de noter que les fidèles ont pris de nombreux événements pour miraculeux. Qu’ils en aient fait l’expérience dans leur propre personne ou à travers les autres, ils ont compris leurs sens et se sont sentis tenus d’accepter les messages de Medjugorje comme une obligation. Il est difficile de dire avec précision la quantité de ces événements miraculeux liés aux apparitions de Medjugorje. Il est néanmoins connu que plusieurs centaines ont été déclarés en présence de témoins. Quelques-uns ont été examinés à fond et analysés scientifiquement et théologiquement, et il n’y a pas de raisons sérieuses de douter de leur caractère surnaturel. Il suffira d’en mentionner quelques-uns.

Diana Basile, née le 5 octobre 1940 à Platizza, Cosenza en Italie, souffrait de 1972 au 23 mai 1984 d’une sclérose en plaque (sclerosos multiplex), maladie réputée incurable. Malgré l’aide compétente des professeurs et des médecins de la clinique de Milan, sa maladie progressait. Suivant son désir, elle vint à Medjugorje et assista à l’apparition de Notre-Dame dans une pièce adjacente à l’église - et fut instantanément guérie. La guérison fut instantanée et totale, au point que, le lendemain, elle parcourait pieds nus les douze kilomètres qui séparaient l’hôtel à Ljubuški (où elle avait passé la nuit) de la Colline des apparitions, afin de remercier Notre-Dame. Depuis ce jour, elle est en bonne santé. À son retour à Milan, les médecins - stupéfaits de sa guérison - ont immédiatement formé une commission médicale qui s’est chargée d’examiner à nouveau et en détail son état antérieur et actuel. Vingt-cinq professeurs, médecins en chefs et autres médecins ont réuni 143 documents pour finalement écrire un livre uniquement consacré à sa maladie et à sa guérison, livre dans lequel ils affirment que Diana Basile souffraient vraiment de sclérose en plaque, qu’elle avait été soignée sans succès pendant de longues années, et qu’elle était à présent complètement guérie, sans qu’aucune thérapie ni aucun traitement médicamenteux en soit la cause. Ils ont ainsi signifié que la cause de cette guérison résidait dans un autre domaine que celui de la science.

Un autre miracle significatif est arrivé à Rita Klaus, née le 25 janvier 1940 à Pittsburgh (USA), enseignante et mère de trois enfants, qui souffrait de sclérose en plaque depuis 26 ans. Les médecins et la médecine ne pouvaient pas l’aider. À la lecture le livre de Laurentin et Rupčić, « La Vierge Marie apparaît-elle à Medjugorje ? », elle décida d’accueillir les messages de la Gospa. Le 23 mai 1984, pendant qu’elle priait le rosaire, elle se sentit envahie par une chaleur inhabituelle. Après cela, elle s’est sentie en bonne santé. Depuis ce jour, elle est en parfaite santé et peut s’acquitter de toutes ses tâches domestiques et professionnelles. Une solide documentation médicale sur sa maladie et sur l’inefficacité des traitements appliqués a été réunie, de même qu’une attestation du médecin qui certifie son extraordinaire et inexplicable guérison, à la fois totale et durable.

D’autres guérisons soudaines et radicales liées à Medjugorje ont eu lieu. Certaines ont fait l’objet d’examens plus ou moins qualifiés, d’autres n’ont pas encore été traitées. Il n’est pas exclu que certaines soient aussi importantes que les guérisons déjà étudiées. Ce qui est important dans les miracles, c’est qu’ils viennent de Dieu et soient au service de la foi, et non qu’ils soient « grands ». Ils seront reconnus plus vite par les gens de bonne volonté, ouverts à la vérité, que par les scientifiques strictement spécialisés et les critiques polyvalents souvent enfermés dans les limites où un miracle « ne doit pas » et ne « peut pas » se produire.

LE JUGEMENT DE L’ÉGLISE SUR LES APPARITIONS DE MEDJUGORJE

Puisque les apparitions, les visions et les messages de Medjugorje font partie des révélations extrabibliques, la compétence de l’Église dans l’évaluation de leur authenticité n’est pas tout à fait du même ordre que lorsqu’il s’agit de la révélation biblique. Le Magistère de l’Église jouit d’une garantie directe d’infaillibilité uniquement en ce qui concerne la révélation biblique, et d’une garantie indirecte en ce qui concerne les révélations extrabibliques. Si ces dernières étaient en contradiction avec la révélation biblique, elles seraient certainement fausses. Pour d’autres cas, d’autres critères permettent de déterminer dans quelle mesure une révélation peut être considérée comme surnaturelle.

Il s’agit d’abord de prémisses d’ordre scientifique : ce que la raison considère comme faux ne peut être vrai dans une révélation. Les travaux sérieux et qualifiés de certains experts, tout d’abord les conclusions de la Commission scientifique et théologique internationale et d’autres et équipes scientifiques, ont établi clairement que dans les apparitions de Medjugorje rien n’est contraire à la science. Elles ne sont pas contraires à la raison, mais la dépassent.

De même, aucune commission théologique n’a rien pu trouver dans les apparitions de Medjugorje qui serait contraire à la foi. La dernière commission, réunie par la Conférence des Évêques de Yougoslavie, s’est contentée de déclarer qu’elle n’avait pas encore pu réunir suffisamment de preuves pour établir le caractère surnaturel des apparitions de Medjugorje et que, pour cette raison, elle allait poursuivre son enquête. La commission a ainsi indirectement reconnu n’avoir rien trouvé dans les apparitions qui soit contraire à la révélation biblique et à la foi. Quand Dieu donne une révélation, qu’elle soit biblique ou extrabiblique, Il rend toujours les personnes concernées capables de la reconnaître ou bien, au moins, d’avoir la certitude morale qu’elle est vraie. Il est très important de rappeler que des gens simples ont facilement reconnu la révélation divine dans les phénomènes de Medjugorje, et qu’ils l’ont acceptée non seulement en théorie, mais dans leurs vies. La parole du Christ s’y est réalisée : « Si vous ne retournez pas à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux » (Mt 18,3). La première qualité propre à l’enfance est l’ouverture à la vérité.

D’autre part, même ceux qui refusent d’accepter l’authenticité des preuves reconnaissent Medjugorje malgré eux. En effet, l’analyse de leurs positions et de leurs arguments montre que leurs preuves se situent dans un autre domaine de préoccupation. De plus, les opposants de Medjugorje ne sont qu’une petite poignée de gens facilement reconnaissables. Leur argumentation consiste dans des insinuations, des mensonges et l’ignorance des choses qu’ils jugent.

Face à eux se tiennent des millions de personnes pour qui la preuve de l’authenticité des apparitions de Medjugorje réside principalement dans leur rencontre personnelle avec Dieu et dans le manque évident d’arguments en leur défaveur. On peut parler ici du sensus fidelium des croyants, qui est d’ailleurs un locus theologicus de la révélation et de la foi.

Un poids tout particulier aux preuves en faveur des apparitions de Medjugorje donnent les fruits spirituels, aussi abondants qu’évidents, constatés dans le domaine de la foi, de la conversion, de la prière et d’un profond et massif renouveau spirituel. C’est ce que même les opposants de Medjugorje ne peuvent remettre en question. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de les mettre uniquement sur le compte de la foi et non des apparitions de Medjugorje. Il n’y a pas de doute que ces fruits soient bien les fruits de la foi. Mais pourquoi sont-ils tellement inhabituels et liés précisément à Medjugorje ? Pourquoi ne les trouve-t-on pas ailleurs, dans les lieux de pèlerinages ordinaires ou dans les cathédrales ? Ce qui est en question, c’est précisément le côté extraordinaire et la grande quantité de fruits de la foi qui doivent avoir une cause. À cet égard, les opposants se comportent comme les Juifs qui avaient attribué l’expulsion d’un mauvais esprit à Béelzéboul et non à Jésus. Puisqu’ils n’ont pas pu nier le fait, car il était évident, ils ont nié sa vraie origine.

Hormis le critère selon lequel on reconnaît un bon arbre à ses bons fruits, la position du Saint-Père est décisive dans cette affaire. Or, le Pape est parfaitement clair. Il a exprimé sa position à plusieurs occasions, lorsque, interrogé par de nombreux évêques sur l’opportunité de se rendre à Medjugorje, le Pape les y a non seulement encouragés, mais s’est recommandé à leurs prières. Lors de sa visite ad limina, le président de la Conférence des Évêques de Corée du Sud, Mgr Kim, a salué le Pape Jean-Paul II par ces mots : « Saint-Père, grâce à vous, la Pologne a pu être libérée du communisme ». Le Pape le corrigea et lui dit : « Non, ce n’est pas grâce à moi, c’est l’œuvre de la Vierge comme elle le dit à Fatima et à Medjugorje. » (Catholic News, Hebdomadaire catholique coréen du 11 novembre 1990). Tout ce que le Pape et l’Église peuvent dire au sujet des apparitions de Medjugorje est contenu là. Il en découle que la Gospa est à Medjugorje et qu’elle a annoncé la chute du communisme. D’autres histoires manquent gravement de sérieux, et - pour des raisons externes à la foi - cherchent à obscurcir la vérité sur Medjugorje et à détourner le monde de l’accueil des messages évangéliques de la Gospa.

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Prof. dr. Josip Marcelić

LE RÔLE DES VOYANTS
(biblique et historique)

INTRODUCTION

En réfléchissant à ce thème, la parole de Jean me vient à l’esprit : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie, - car la Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle... ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous. » (1 Jn 1,1-3)

Jean, qui est un des voyants de Dieu, parle clairement de la vision. Ses paroles renvoient aux caractéristiques essentielles d’un voyant :

a) voir - entendre, signifie : recevoir

b) voir l’action de Dieu dans le Christ, dans l’histoire du salut

c) témoigner, signifie : transmettre ce qui a été reçu

d) introduire dans le mystère du Christ ; édifier la personne et la communauté.

Arrêtons-nous sur chacune de ces significations :

Recevoir de Dieu peut être réalisé à divers niveaux :

  • réception ordinaire naturelle des messages de Dieu à travers la nature (révélation naturelle)
  • réception ordinaire surnaturelle des dons de Dieu au niveau des vertus théologales (par la foi, l’espérance, la charité)
  • réception extraordinaire surnaturelle des manifestations de Dieu dans la vie mystique
  • réception extraordinaire surnaturelle des révélations de Dieu de type charismatique, lorsque Dieu révèle quelque chose à quelqu’un pour l’édification du peuple de Dieu.

Dans notre cas, il s’agit du dernier mode de réception des dons de Dieu, lorsque le Seigneur révèle quelque chose à quelqu’un pour qu’il le transmette aux autres dans la communauté ecclésiale, pour son édification. Jean plongeait de manière particulière dans le mystère du Christ et voyait ce que les autres, ses contemporains, ne voyaient pas !

(Il serait peut-être bon de rappeler ici le débat théologique, justifié et bien fondé, sur la différence entre la vision et l’apparition. La vision peut résulter de la contemplation intérieure, donnée par Dieu - c’est la vision au sens strict ; elle peut venir de l’extérieur, c’est alors l’apparition, c’est à dire la vision au sens large. Dans notre cas, je considère que cela ne touche pas l’essence du thème et je ne m’y attarde pas.)

Il faut remarquer et recevoir l’action salvatrice en nous, dans l’Église, dans le monde, dans l’histoire du salut : Jean renvoie clairement à Jésus Christ.

Le témoignage et la transmission de ce qui a été reçu se réalise dans notre cas par le témoignage de la parole de Jean, mais peut être réalisé de multiples façons ; nous y reviendrons plus tard.

Le témoignage de Jean a pour but de favoriser la foi et d’introduire dans le mystère du Christ. (Cf.: Jn 20,31, la fin de l’évangile de Jean : « Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous croyiez... et qu’en croyant vous ayez la vie... »)

L’exemple de Jean nous aide à nous rendre compte des éléments essentiels du rôle du voyant. Ce rôle peut être observé dans son évolution dans l’histoire biblique et dans celle de l’Église. Nous réalisons alors sa complexité et sa portée, son implication dans le psychisme humain, dans la société, ainsi que dans les interventions historiques de Dieu.

Arrêtons-nous sur ces éléments, d’abord dans l’histoire biblique, puis à travers l’histoire de l’Église, pour les appliquer ensuite à l’actualité.

I. APERÇU BIBLIQUE ET HISTORIQUE L’Ancien Testament : Abraham, Moïse, les prophètes

L’Ancien Testament nous offre de nombreux exemples pour la réflexion sur le rôle des voyants, en commençant par Abraham, Moïse, Samuel, et de nombreux prophètes.

L’exemple de Moïse est particulièrement adéquat et riche pour distinguer les éléments de ce rôle :

  • il rencontre Dieu dans un buisson ardent
  • il entend sa parole depuis le buisson, depuis la nuée, depuis le ciel (Ex 1.2.3)
  • il apprend à connaître l’histoire d’Israël dans une lumière nouvelle ; il apprend les promesses données aux pères
  • il entend la promesse de la libération
  • il doit transmettre tout cela à son peuple ; il doit le sortir du pays de l’esclavage
  • il conduit le Peuple de Dieu de l’Egypte à travers le désert ; par lui, le Seigneur conclut l’alliance avec son peuple
  • il rappelle l’Alliance à Israël, le stimule et l’encourage, il le reprend et le menace, le console dans la détresse, au nom de Dieu il guérit ses blessures.

Parmi les prophètes, nous pourrions mentionner Jérémie dont l’histoire turbulente et douloureuse est décrite dans le récit de son appel et dans ses confessions, où il décrit ses expériences parfois amères et ses déchirures au service du Message de Dieu. (Cf.: Jr 1,4-19 - la vocation de Jérémie ; Jr 20,7-18 - les « confessions » de Jérémie.)

A l’exemple de Moïse, les prophètes

recevront la Parole de Dieu : ils seront des voyants (d’où leur nom « roeh » = voyant)

Dieu leur révélera ses secrets, comme à des amis

ces secrets seront en lien avec ses plans du salut

ils doivent les transmettre au peuple de Dieu, pour l’aider ainsi dans son alliance avec Dieu, dans sa vie avec Dieu : s’ils sont pécheurs, pour qu’ils se convertissent ; s’ils sont justes, pour qu’ils deviennent encore plus justes ; s’ils sont découragés, pour reprendre courage ; s’ils sont dans la tristesse et dans les ténèbres, pour qu’ils reçoivent la consolation et la lumière...

Nouveau Testament : Jésus, Marie, Elisabeth, Siméon, les apôtres

Bien que Jésus soit la source et l’archétype de toute médiation entre Dieu et les hommes, étant le seul Médiateur, il n’est pas utile dans notre cas de s’arrêter à son exemple, puisqu’il se distingue essentiellement de tous les autres médiateurs de l’Ancien et du Nouveau Testament : Il regarde le Père face à face et nous Le découvre, Il est LA LUMIÈRE DU MONDE, et tous les autres médiateurs n’en sont que le reflet. Il est LA PAROLE DU PÈRE, et tous les autres n’en sont que la voix ou l’écho, comme Jean Baptiste...

Il y a donc une différence fondamentale entre Jésus et d’autres voyants : Il est LA SOURCE de la lumière, les autres n’en sont que le reflet, le miroir ; Il est LA PAROLE, et les autres n’en sont que la voix, le haut-parleur. C’est pourquoi nous allons nous attarder auprès d’autres figures du Nouveau Testament, comme par exemple la Vierge Marie, Jean, Paul.

La Vierge Marie est une voyante :

  • elle reçoit la nouvelle de la part de l’ange Gabriel et par le Saint-Esprit la Parole de Dieu, et devient la Mère de Dieu
  • elle se met tout de suite en route, et elle est au service de la Rédemption
  • elle transmet l’œuvre de la grâce de son Fils à Elisabeth et à son fils Jean
  • dans le MAGNIFICAT elle exprime la louange de Dieu et annonce à Elisabeth - et à nous tous - les hauts faits de Dieu.

Son rôle de « voyante » est très simple dans sa plus grande sublimité : simple, comme le rôle de la mère qui conçoit un enfant, qui le sert, le porte, le nourrit et l’éduque et - quand il devient adulte - le donne aux autres !

Je pense que l’exemple de Marie est particulièrement important, parce que, dans l’histoire de l’Église, elle apparaît très souvent aux voyants :

  • elle se dépêche dans les collines de Judée pour secourir sa cousine Elisabeth qui avait besoin d’aide, elle se dépêche vers nous tous qui avons besoin d’aide
  • elle nous apporte le Sauveur, car elle est Sa Mère
  • elle révèle cela dans les paroles du Magnificat, où l’on voit l’œuvre du Sauveur dans les petits, les pauvres, les rejetés
  • elle annonce l’accomplissement de l’histoire du salut en Israël et dans le Peuple de Dieu !

Arrêtons-nous aussi au Livre de la Révélation de Jean qui dans les visions révèle l’état des sept Églises d’Asie Mineure (Ap 1-3) et contemple le combat final qui se joue pour l’homme entre Dieu et Satan (Ap 4-20). Nous y trouvons encore une fois ces caractéristiques fondamentales :

  • prise de conscience et observation de l’état dans lequel se trouve une Église particulière,
  • pour l’appeler à la conversion, à la fidélité, pour la consoler, la reprendre,
  • pour l’introduire aux fruits de la Rédemption
  • le voyant contemple les grands combats de la fin de l’histoire de l’humanité,
  • découvre la gravité de cette réalité, l’horreur du péché, la puissance du mal, découvre la force de Dieu, son action salvatrice, le rôle des anges de Dieu
  • la victoire finale de Dieu.

Nous pourrions achever ce bref aperçu sur le rôle du prophète-voyant dans la Bible par les paroles de St Paul : « Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice : ainsi l’homme de Dieu se trouve-t-il accompli, équipé pour toute œuvre bonne. » (2 Tim 3,16-17)

Le rôle de l’Écriture et de ceux qui la transmettent est clairement souligné :

  • utilité pour le redressement et la croissance,
  • croissance dans les œuvres de charité en vue de la perfection.

Le message de Dieu, et par conséquent le rôle des voyants, est au service de la vie :

« Je mets devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, choisis donc la vie pour que toi et tes fils viviez ! » (Dt 30,15.19)

Jésus vient pour nous donner la vie, la plénitude de la vie (Jn 10,10)

c’est pourquoi Jean écrit son Évangile - pour que nous ayons la vie par la foi (Jn 20,31)

c’est pourquoi Jésus envoie les apôtres dans le monde entier pour annoncer la Bonne Nouvelle et baptiser toutes les nations (Mt 28,19), afin qu’ils deviennent enfants de Dieu par le Baptême, qu’ils aient la vie de Dieu en eux et qu’ils aient part au Royaume des Cieux (cf.: Jn 3,5).

II. À TRAVERS L’HISTOIRE DE L’ÉGLISE

L’Économie du Salut dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament fait appel aux messagers de Dieu : les anges, les prophètes, les voyants, les apôtres. On peut donc s’attendre à ce que le Seigneur agisse pareillement dans l’histoire de l’Église.

De fait, on voit qu’à toutes les époques de l’histoire, à des moments particuliers, Dieu a parlé par les voyants pour révéler sa volonté...

Dans l’histoire plus récente, souvenons-nous de la voyante Marguerite-Marie Alacoque de Paray-le-Monial, de Bernadette de Lourdes et des voyants de Fatima : Lucie, François et Jacinthe, que l’Église a reconnus comme authentiques.

À travers sainte Marguerite-Marie, nous voyons que le Seigneur nous appelle à vivre le mystère de l’amour de son Cœur Divin. Les révélations données par elle n’ont pas tout de suite été accueillies, mais ont rencontré de la résistance parmi les ecclésiastiques. Ce n’est que plus tard que l’Église a accepté la partie essentielle de ces messages et, partant de la révélation biblique, a particulièrement conseillé la dévotion au Sacré Cœur de Jésus (cf.: Pie XII : Haurietis aquas de fontibus Salvatoris : Vous puiserez les eaux aux sources du salut). On voit bien ici que les voyants ne rajoutent rien à la Révélation déjà donnée, mais renvoient aux révélations déjà connues, dans les circonstances précises nous y rappellent, pour qu’elles soient la stimulation à une plus profonde vie chrétienne !

Chez Bernadette et les voyants de Fatima nous remarquons que :

  • ce sont des enfants sans instruction, incapables de parvenir par leur propre réflexion aux messages dont ils parlent ; ils ont donc reçu les messages de Notre-Dame
  • ils les transmettent aux hommes
  • ils les transmettent aux bergers de l’Église
  • ils les vivent dans leurs propres vies
  • dans la transmission des messages de Notre-Dame ils rencontrent des difficultés - de la part des hommes, des autorités civiles et ecclésiales
  • finalement, l’authenticité de leurs messages est reconnue (à partir de leurs vies, de la cohérence des messages avec l’Écriture Sainte, des fruits dans la vie, des signes miraculeux qui accompagnent ces messages).

Le rôle des voyants

Dans le désir de souligner le rôle des voyants – ce qui est notre propos – nous pouvons dire qu’il comporte :

  • la réception de messages
  • l’annonce des messages
  • la mise en pratique des messages.

a) Le rôle des voyants dans la réception des messages

Selon le principe philosophique : tout ce qui est reçu est reçu de manière conforme à celui qui reçoit.

Ceci explique assez clairement que les messages sont reçus différemment par les enfants que par les adultes, par les hommes que par les femmes, dans les cadres culturels divers et les époques diverses. (Le Seigneur annoncera le contenu du même message autrement à un Africain qu’à un Européen, autrement au Moyen Age qu’à notre époque. Dieu choisit le « langage » que le récepteur pourra comprendre : un enfant, un adulte, un Juif, un chrétien, un Européen, un Africain ; l’homme dans le contexte de la science et du monde médiéval, l’homme de notre temps qui connaît la vision moderne du monde et de l’histoire.)

Il suffit d’y avoir attiré l’attention.

b) Le rôle des voyants par rapport au « contenu » des messages

L’analyse des messages reçus par les voyants de Lourdes, de Fatima et d’autres (à travers l’histoire de l’Église) nous montre qu’ils transmettent tout simplement les messages déjà contenus dans la Révélation qui nous est donnée :

  • qu’ils transmettent seulement certains messages, notamment ceux revêtant une importance particulière pour une époque donnée
  • qu’ils accentuent et soulignent ces messages.

Puisque nous avons pris comme exemple Sainte Marguerite-Marie et les bergers de Fatima, disons aussi que les premières révélations soulignent l’Amour de Dieu révélé dans le Cœur Divin de Jésus, et que celles de Fatima proposent à notre dévotion le Cœur Immaculé de Marie. Il est intéressant de remarquer ce lien : l’amour de Dieu se révèle et s’offre à nous dans les figures qui nous sont accessibles - les Cœurs de Jésus et de Marie ! Les deux dévotions renouvellent nos cœurs et toute la vie chrétienne.

Par rapport aux messages qu’ils transmettent, les voyants sont donc :

  • un écho qui renvoie au message de la Bible
  • des sélecteurs des messages qu’ils transmettent à une génération donnée dans des circonstances spécifiques
  • mais aussi des amplificateurs de ces messages qui peuvent ainsi résonner plus fort et être mieux entendus.

La mission de Jean Baptiste peut très bien nous aider à souligner le rôle du voyant : il a montré le Sauveur, il a envoyé ses disciples vers lui, il a dit : « Il faut qu’Il croisse et que je diminue... » Le voyant doit entrer dans l’ombre, le Soleil de Dieu doit se lever à l’horizon. Nous pouvons aussi prendre pour exemple l’Étoile du matin : Elle annonce le jour, mais plus le jour approche, plus elle disparaît dans la lumière du Soleil ! C’est le Soleil qui compte, son rôle à elle est de conduire vers lui ! Il en va de même pour les voyants :

ils sont au service gratuit de l’Évangile. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. » Ils sont donc au service de la transmission des dons, devenant ainsi eux-mêmes un don ! (C’est leur rôle et en même temps un critère d’authenticité : le service, et le service gratuit ! Brûler comme un cierge qui éclaire et ainsi disparaît, afin que les autres vivent !)

ils contribuent à l’édification du Corps du Christ, de l’Église : « Allez dans le monde entier... » (cf.: Mc 16,15)

Par son rôle, le voyant entre en relation avec :

  • la Révélation de Dieu
  • la hiérarchie de l’Église mise en place par le Seigneur pour gouverner l’Église
  • le peuple de Dieu
  • le monde.

(Ce sont des thèmes que nous ne faisons que mentionner, et qui exigent un approfondissement particulier, une analyse et un travail en relation avec les messages transmis par chaque voyant !)

c) Le contenu des messages

Ce n’est ni l’endroit ni le moment pour nous arrêter particulièrement sur le contenu des messages, ce qui, d’ailleurs, est si important et si nécessaire !

Nous pourrions décrire le rôle des voyants de façon imagée :

  • Ils sont des récepteurs. Cependant, tous les récepteurs ne sont pas également aptes à capter toutes les ondes ; il faut être sur la même longueur d’ondes ; il nous faut adapter chaque poste de radio à chaque station en particulier. Il est intéressant de noter que parmi les voyants il y a beaucoup d’enfants et un peu plus souvent des filles ; il est possible que les enfants soient plus sensibles et moins encombrés par leurs propres fréquences, plus aptes à capter la fréquence de Dieu ; il semble que les personnes de sexe féminin soient des récepteurs sensibles et que le ciel entre plus facilement en lien de transmission.
  • ils sont des micro
  • ils sont des sélecteurs,
  • ils ont aussi un rôle d’amplificateur,
  • à la réception et à l’émission des messages se mêlent également leur propre fréquence, ainsi que la fréquence de leur milieu ambiant. La « vitalisation » des messages y est aussi incluse : en traversant leurs vies, les messages deviennent visibles, lisibles. Souvenons nous que dans l’Ancien Testament le Seigneur a souvent transmis ses messages à travers des actions symboliques, même très douloureuses (cf.: les prophètes Ézéchiel, Osée etc.).

Le rapport entre les voyants et la hiérarchie

C’est une question particulièrement délicate qu’il faut aborder.

Il s’agit ici essentiellement de la relation entre le charisme et l’institution dans l’Église. Le Concile Vatican II a explicitement parlé de la relation entre les dons charismatiques de la grâce et la hiérarchie, affirmant qu’il est nécessaire d’être ouvert à tous les dons, ordinaires et extraordinaires, de la grâce de l’Esprit Saint, et que les pasteurs de l’Église sont appelés à ne pas rejeter ces dons, mais à discerner, à accepter ce qui est authentique et à rejeter ce qui ne l’est pas. (Cf.: LG 12)

La question de l’authenticité des charismes et de ceux qui possèdent ces charismes - dans notre cas concret des voyants - se pose donc à plusieurs niveaux. Mentionnons quelques critères principaux du discernement de cette authenticité.

Les critères d’authenticité

Souvenons-nous quand-même que la question de l’authenticité des voyants-prophètes s’est posée dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. Il y avait donc des prophètes et des apôtres qui s’étaient érigés eux-mêmes en tant que tels. Dans l’Ancien Testament, Moïse appelle à la prudence, dans le Nouveau Testament, Jésus parle de faux prophètes, Paul et Jean mettent également en garde contre les faux apôtres.

Il faut donc établir des critères pour reconnaître les vrais prophètes, apôtres et voyants. Il faut sérieusement en tenir compte. Mentionnons-en quelques-uns qui sont en lien avec le rôle des voyants :

  • le voyant doit annoncer Dieu et les plans du salut ; si dans ses annonces il fait le contraire, s’il n’annonce pas les plans de Dieu mais les siens, ce n’est pas un voyant authentique
  • il doit annoncer la révélation de Dieu pour l’édification du Peuple de Dieu, du Corps du Christ, de l’Église ; c’est pourquoi, si par ses annonces il sème la discorde, affaiblit le Temple de Dieu, déchire le Corps du Christ, il n’est certainement pas authentique
  • l’effet de la révélation de Dieu doit être évident d’abord en lui-même, comme le souligne St Paul en défendant son ministère apostolique.

Je mentionnerai ici particulièrement les critères adaptés du livre du Dr. Heribert Mühlen (« Nouvelle rencontre avec Dieu » (Jelsa 1994, p. 205-207,314-319). Voici les principaux :

Est-ce que les voyants sont sur le chemin de l’abandon à Dieu :

  • par la foi, l’espérance, l’amour ?
  • Comptent-ils sur leurs capacités et leurs méthodes personnelles ou sur la puissance de Dieu ?
  • Quel est leur amour de l’Église ?
  • Sont-ils portés par un amour concret pour l’Église : le peuple de Dieu ?
  • Quelle est leur relation envers les pasteurs de l’Église ?
  • Stimulent-ils en vue de l’édification du Corps du Christ, l’Église ?
  • Sont-ils ouverts au service des autres ?
  • Cherchent-ils leur glorification et leur intérêt propres ou bien l’intérêt des autres ?
  • Sont-ils prêts à collaborer ?
  • Est-ce que leur critique, s’ils l’expriment, est pour l’édification ou pour la destruction ?
  • Suivent-ils le Christ dans la vie quotidienne ?
  • Comment observent-ils leurs obligations officielles : à l’école, dans la famille, au travail ?
  • Portent-ils en eux-mêmes les fruits de l’Esprit Saint ?
  • Répandent-ils la paix ou la confusion ?
  • Portent-ils dans leurs cœurs une joie prometteuse et l’amour ?
  • Possèdent-ils un amour qui veut se donner ?
  • Comment sont-ils concernant les exagérations et les négativités ?
  • Exagèrent-ils dans la vérité et le bien ?
  • Soulignent-ils ce qui est négatif ?
  • S’attardent-ils sur les côtés ténébreux, les blessures et les meurtrissures intérieures ?

(Ces signes indiquent l’action de Satan qui ronge l’homme.)

À propos des voyants de Medjugorje

Les données de l’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament ainsi que celles de l’histoire de l’Église présentées plus haut doivent bien évidemment être concrètement appliquées aux voyants de Medjugorje.

Il faut considérer :

  • toutes les circonstances dans lesquelles ils reçoivent les messages (les visions dans leur dimension physiologique, psychologique, spirituelle et mystique)
  • le contenu des messages qu’ils transmettent au nom de Notre-Dame (dimension biblique, théologique, ecclésiale, canonique, ascétique et mystique)
  • la portée de ces messages dans leurs vies (personnelle et sociale, privée, familiale, relations avec l’Église et les autorités ecclésiales, relation concrète avec l’évêque, le Pape, le curé)
  • la manière d’annoncer les messages (par les paroles, les actes, la vie)
  • les fruits des messages (conversion, prière, pénitence, sacrements, rosaire, confessions, Eucharistie, réconciliation, spiritualité mariale...)

Nous en avons ici seulement donné une indication.

C’est un thème qui requiert une recherche et une étude longue et détaillée.

III. CONCLUSION

Le rôle des voyants dans la révélation publique et dans la révélation privée est donc un rôle de médiateur.

Il convient à notre structure individuelle et communautaire ainsi qu’au contexte historique et à la dynamique du genre humain.

Leur rôle personnel est entièrement subordonné au rôle de médiation - toujours silencieux, discret, caché - comme, par comparaison, à celui d’un micro et d’un haut-parleur dans la transmission de la parole. Moins le microphone et la sonorisation se font remarquer, meilleurs ils sont, car ils servent mieux leur propos. Plus ils s’imposent ou déforment la voix, moindre est leur qualité.

Pour tous les médiateurs créés, l’archétype est la Vierge Marie. Elle transmet silencieusement LE MESSAGE INCARNÉ - LA PAROLE, elle disparaît sous son ombre, elle réapparaît à nouveau seulement au Calvaire. Il semble que Marie réapparaît ainsi souvent dans l’histoire aux moments de crise – toujours auprès de Jésus et en portant Jésus, souvent blessé, crucifié, dans nos êtres et dans nos cœurs humains, pour qu’il puisse revivre en nous, parce que sur la croix Jésus lui-même nous à confiés à elle comme ses enfants, et nous a donné Marie comme Mère !

Ainsi les voyants de Marie participent à nos « Cana » et à nos « Calvaires » en écoutant et en répétant les paroles que le Seigneur lui-même met dans leurs cœurs : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ! » (Jn 2,5)

C’est le rôle des voyants : indiquer Jésus – et disparaître dans l’ombre ! Il ne reste que Jésus et Sa Parole !

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Dr fr. Tomislav Pervan, ofm

CONTEXTE HISTORIQUE ET THÉOLOGIQUE DES APPARITIONS DE MEDJUGORJE

LES DÉBUTS ET LE CONTEXTE HISTORIQUE

Le problème du sens de l’histoire, selon certains, serait précisément de savoir si l’homme savait, s’il se rendait compte, s’il lui a été donné de découvrir la vérité sur lui-même, tant que l’histoire était encore en cours ? Plus précisément : l’histoire qui manifeste tant de signes de hasard, tant d’irrationalité, révèle-t-elle malgré tout une nécessité qui donnerait une sorte de justification à tout ce qui s’est déroulé dans le passé ? Est-il possible d’écrire l’histoire en l’observant dans l’immédiat, est-il possible d’en pénétrer le fond en prenant une distance par rapport à l’actualité, pour lui donner une signification et en tirer un sens pour l’avenir ?

Cette question fondamentale concerne également Medjugorje et ces événements qui se déploient parmi nous depuis quatorze ans. Le phénomène en lui-même est complexe au point de ne pas se laisser saisir dans toute sa portée et avec toutes ses composantes. Et pourtant, Medjugorje, qui a depuis longtemps dépassé ses frontières étroites, tient son Sitz im Leben théologique et historique dans le monde actuel et dans l’Église contemporaine. Medjugorje est inscrit de manière indélébile sur la carte religieuse du monde, principalement du monde de l’Église catholique. Depuis quatorze ans, on a beaucoup parlé et écrit à propos de sa signification et de son importance, et souligné à quel point notre temps en avait besoin. Il me semble inutile d’être son apologiste et son avocat, car Medjugorje est assez fort en soi pour plaider en sa propre faveur, se défendre et se maintenir devant les tribunaux les plus sévères de l’Église, de la théologie, de l’histoire et du monde. Il suffit de regarder en dessous de la surface pour voir, pour se rendre compte du bouleversement tectonique survenu dans l’Église et dans le monde avec l’avènement de Medjugorje.

Clémenceau, homme politique et agnostique français, disait que la guerre était beaucoup trop importante pour être laissée entre les mains de généraux et de soldats. Il en va de même avec Medjugorje, réalité trop complexe pour être laissée uniquement entre les mains des commissions, livrée uniquement au discernement et au jugement des théologiens et des commissions ; qui l’ont approché avec nous savons quelles prémisses. Il est impossible de livrer Medjugorje à ceux qui prennent leurs décisions autour d’une table, aux théologiens oisifs et à ceux qui n’ont jamais fait l’effort de comprendre la signification de ce phénomène, la portée de ces événements et l’essence du message.

Il est difficile de donner une définition de Medjugorje. Le phénomène est complexe et implique les appréciations et les évaluations de nombreux experts de divers domaines de la pensée et de la science. Quelles que soient nos opinions et nos convictions personnelles à ce sujet, nous devons reconnaître, bon gré – mal gré, qu’il s’agit là du phénomène religieux le plus évident qui se soit produit sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, de l’Europe et même du monde au cours de la dernière décennie, des deux dernières décennies même de notre siècle et de notre millénaire. S’il était possible de rassembler avec un immense aimant tous les éléments semés dans les âmes et les cœurs d’innombrables personnes et dispersés sur le globe, nous en serions impressionnés, tant le résultat serait invraisemblable. Nous serions surpris de savoir à quel point Medjugorje est présent dans les consciences et dans les vies des croyants et des incroyants. Quels en ont été les débuts ?

Si licet exemplis in parvis grandibus uti, s’il est permis de se servir de grands exemples pour exposer ce qui est petit, ou bien, si licet parvis componere magna, comparer ce qui est grand à ce qui est petit, je commencerai avec un exemple néotestamentaire : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » se demande Nathanaël plein d’étonnement, posant la question à Philippe (Jn 1,46). Nazareth, petit village de province où l’on parlait mal, où l’on ne parlait que le patois, exactement comme à Bijakovići et à Medjugorje. Province, village, provinciaux, paysans en conflit, voyants de la même trempe, descendants de personnes quasiment analphabètes. Sans diplômes et sans instruction, à un moment de leur histoire personnelle ils ont été arrachés à leur routine et ont commencé à utiliser un langage et une langue qui appartiennent à un monde qui n’est pas le leur, ont commencé à parler de quelque chose de l’au-delà et non d’ici-bas. Ces petits et ces inconnus ont rempli les oreilles du monde d’un message et d’affirmations qui ont fait trembler le pouvoir alors en place, qui a cherché, coûte que coûte, à étouffer la nouvelle dans l’œuf. Bijakovići et Medjugorje ont beau être deux villages brouillés dans une Herzégovine inconnue : à partir de cet instant, ils sont inscrits sur la carte du monde. L’expansion est comparable à celle décrite dans les Actes des Apôtres : « de Jérusalem, la Judée et la Samarie jusqu’au bout du monde ». Nous pouvons constater ces mêmes cercles concentriques dans le phénomène de Bijakovići – Medjugorje.

LES PARALLÈLES DANS L’HISTOIRE DU SALUT

L’histoire et l’Écriture Sainte peuvent nous servir de maîtres et de guides en toute circonstance et dans toutes nos réflexions. Ils nous offrent suffisamment de matière de réflexion, surtout dans le contexte de Medjugorje et du retournement historique que signifiait la chute du communisme en ces deux dernières décennies du siècle et du millénaire. Le communisme s’est écroulé tout seul, il n’était pas nécessaire de l’affronter par la force des armes. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Les raisons en sont nombreuses. Tout d’abord, les idéologues et les leaders eux-mêmes ne croyaient plus à leurs idées de création d’un avenir meilleur et d’un lendemain plus heureux, fondés sur les principes économiques ou sur un plus grand produit national brut. Ensuite, il était devenu impossible de maintenir le monde sous la terreur de la force de répression et d’oppression de la pensée, de l’expression et de la décision. Je comparerais la chute du communisme à la chute de Jéricho décrite dans le Livre de Josué : souvenons-nous de l’entrée des Hébreux en Terre Promise et de l’écroulement des murs de Jéricho. La Bible interprète l’événement par une intervention directe de Dieu dans l’histoire du peuple élu. Les murs ne se sont pas effondrés à cause de la force humaine, mais grâce à la prière, aux chants et aux processions, qui signifient l’action directe de Dieu qui conduit et oriente l’histoire. C’est le signe que Dieu lui-même donne la terre à son peuple venu de l’étranger, du désert, après des dizaines d’années d’errance dans les régions arides. Les murs ne sont pas tombés à cause de la puissance militaire ou de la puissance tout court, mais à cause des cantiques, des processions diurnes et nocturnes avec l’Arche d’Alliance autour d’eux. Le triomphe et la victoire se résument à ce seul instant qui devrait être pour toujours et pour tout le peuple le signe qu’il ne doit pas se fier à lui-même mais compter sur Dieu qui fait tomber les forteresses. Cet événement est très vite tombé dans l’oubli à cause de la déchéance morale, du péché, des trahisons individuelles et collectives à l’intérieur du peuple. La vie dans le nouveau contexte continue à être menacée par toutes sortes d’agressions et de violences, mais c’est la déchéance interne au peuple qui permettait aux agresseurs de le conquérir et de se le soumettre plus facilement. Souvenons-nous de ce qui s’est passé avec Jéricho et de la malédiction prononcée par Josué : « Maudit soit, devant Yahvé, l’homme qui se lèvera pour rebâtir cette ville ! Il la fondera sur son aîné, et en posera les portes sur son cadet ! » (Jos 6,26). Dans le Premier Livre des Rois (16,34) il est dit : « De son temps, Hiel de Béthel rebâtit Jéricho ; au prix de son premier-né Abiram il en établit le fondement et au prix de son dernier-né Segub il en posa les portes, selon la parole que Yahvé avait dite par le ministère de Josué, fils de Nûn. »

L’image d’un tissu tramé d’accomplissement et de responsabilité (sous la menace d’une punition clairement exprimée), composé d’ordres et de dons de la grâce, s’impose involontairement lorsque nous observons les processus politiques, les bouillonnements et la chute du communisme dans l’histoire la plus récente. Certains yeux et certaines oreilles considéreront comme inopportun l’exemple des murs de Jéricho, des trompettes et des processions autour des murailles. Nos contemporains, éclairés ou se considérant comme tels, n’y croient plus depuis longtemps : nous sommes néanmoins témoins d’un processus semblable qui s’est déroulé parmi nous. Ce qui s’est passé avec le choix d’un cardinal polonais pour Pape, et ce qui s’est déroulé après Medjugorje – donc la chute du communisme en 1989 – n’a pas encore été suffisamment élucidé est reste sans explication du point de vue de la théologie de l’histoire, peut-être parce que la chute du communisme s’est passée il y a six ans à peine. Quoi qu’il en soit, c’est sans doute le retournement le plus décisif dans l’histoire du monde et de la civilisation. L’initiateur du processus de la chute du communisme est sans aucun doute le Pape : il a été le premier à percer le rideau de fer, d’abord à l’intérieur de son peuple polonais, puis en posant des signes clairs en faveur d’une vie plus humaine et plus libre. L’année 1989 est une date historique devant laquelle on ne peut que tomber à genoux, admirer et dire librement : Dieu ne s’exprime pas seulement par des mots : il est à l’œuvre. Selon Jésus, il faut clairement lire « les signes des temps ».

Nous prendrons ici l’exemple du Pape actuel, seule autorité morale contemporaine reconnue par toute l’humanité. Il est le pasteur de toute l’humanité ; conscient de la mission qui lui a été confiée par Jésus Christ et de la force qui le soutient, il s’offre à elle comme guide. C’est un Pape explicitement marial qui a dit après son élection : « J’appréhendais cette élection, mais je l’ai acceptée dans l’obéissance à notre Seigneur Jésus Christ et avec pleine confiance en notre Très Sainte Maîtresse… C’est ainsi que je me tiens aujourd’hui devant vous, confessant notre foi commune, notre espérance et notre confiance en la Mère du Christ et la Mère de l’Église. » Lorsque l’histoire de l’Europe et du monde contemporain, l’histoire du communisme mondial et de sa chute, de sa débâcle et de son implosion sera écrite, le Pape actuel y aura sans doute une place unique, honorable et historique. Qui ne se souviendrait des images impressionnantes où l’on reconnaît si bien la confiance du Pape, son assurance, sa résolution, sa supériorité aux leaders et aux « pointures » contemporains, surtout communistes. Si l’on cherche une image fortement significative de la chute du communisme, de l’idéal marxiste et de la fragilité générale de ce système, ce serait une photo du Pape actuel, une photo qui a fait le tour du monde, prise à l’occasion de sa visite dans sa patrie - la Pologne - après avoir été élu successeur de Pierre. La dictature militaire règne en Pologne. Sur le podium, devant une foule d’environ un million de personnes, apparaissent le Pape Wojtyla et le leader de la junte militaire, le général Jaruzelski. L’un représente la force et la puissance militaire, la force des armes, la terreur, la violence, le système de représailles, le communisme athée, mais ce qui lui manque, c’est le soutien du peuple. L’autre sur le podium, fragile, représente Jésus Christ, l’éternité, la Parole de Dieu et la promesse. La force et les armes face à la Parole de Dieu et à l’éternité. Le puissant général dont la force repose sur des pieds d’argile, face au Pape qui parle avec puissance et une force de conviction que seul l’Esprit Saint peut donner. Il parle sans trembler, alors que le général Jaruzelski, lorsqu’il prend ses notes dans les mains, tremble, ses paroles se perdent ou s’arrêtent dans sa gorge, il a peur. En réaction aux paroles du Pape, ses mains tremblent, une sueur froide le saisit. Autrefois, le dictateur Staline demandait ironiquement combien ce Pape de Rome avait de divisions, alors que Jaruzelski n’osait même pas y penser, car il était conscient de la puissance que cet homme représentait au yeux du peuple : il savait que toute la Pologne et le monde entier étaient derrière lui. Il savait ce que représentait une dictature militaire, et il avait de quoi avoir peur, car l’histoire du monde prenait un tournant autre que le communisme. Un Pape porte en lui la force originelle de la foi chrétienne, de cette foi qui vit et qui est annoncée simplement, d’une manière compréhensible, sans apologétique inutile, la foi d’un témoignage simple après lequel languit le monde moderne.

L’élection du Pape actuel, puis les apparitions et les événements de Medjugorje, et finalement l’effondrement du communisme représentent sans doute la plus profonde rupture dans toute l’histoire de l’Europe, et non seulement en ce qui concerne le peuple croate et tous les peuples assujettis à la terreur communiste, mais aussi en ce qui concerne la fin de la guerre froide et de l’affrontement Est-Ouest. Ce qui devrait nous surprendre davantage encore, c’est le fait que ce processus et cette réalité aient été un événement révolutionnaire accompli sans protagoniste explicite, sans personnalité historique marquante, sans programme précis, sans stratégie et, encore plus remarquable et sans précédent dans l’histoire de l’humanité, sans effusion de sang (faisant, bien évidemment, abstraction de cette guerre génocidaire qui se déroule sur les territoires d’ex-Yougoslavie). L’historien en est frappé et reste étonné, sans être en mesure d’en donner les raisons et les causes suffisantes : ou bien il sera obligé de renoncer aux liens de cause à effet, ou bien il acceptera l’idée et se familiarisera avec la possibilité que – en ce moment historique – nous sommes confrontés à une telle intervention personnelle de Dieu dans l’histoire. Il est douloureux de se rendre compte que cette sensibilité nous fait défaut et que nous ne rendons pas grâce à Dieu pour ce qu’il fait. Ceci n’est pas encore venu à notre esprit, et nous n’avons pas compris les profondeurs et toute la signification de ces événements. Si Dieu est à l’œuvre, alors nous n’avons pas de plus grande obligation que de nous positionner par rapport à cet événement avec justesse, justice, dignité et reconnaissance, en tant qu’hommes et en tant que chrétiens. Si le miracle historique existe, alors ce qui s’est produit est un vrai et immense miracle de notre époque.

En ce qui concerne les miracles, nous avons l’habitude de les voir uniquement là où un individu, dans son corps, sans médecin et sans médicament, fait l’expérience de la guérison. Et pourtant, les miracles ne sont pas limités aux seuls destins individuels. Les miracles existent dans l’histoire. Il nous faudrait ici apprendre quelque chose des Juifs et du Judaïsme. Les Juifs ont considéré toute leur histoire comme un dialogue avec leur Dieu, comme un miracle en devenir, en continuation et en action. C’est pourquoi la chute du mur de Berlin et de tous les autres murs dans le monde ressemble à un miracle. Les murs idéologiques qui ont divisé l’Europe et le monde entier n’existent plus dans leur forme ancienne. Ces murs n’ont pas été abattus par la force des armes ou par la violence, mais par la prière persévérante et la révolution des cierges, par l’irruption de l’Esprit et de la dimension spirituelle dans le monde, par tant de marches en faveur de la liberté qui étaient plus puissantes que le fil barbelé et les murs de béton. L’Esprit a manifesté sa force et sa puissance, la trompette de l’Esprit et les gémissements de l’esprit après la liberté se sont révélés plus forts que les murs et les prisons dans lesquels se trouvait enfermée la liberté de l’homme. Nous ne nous permettrions jamais de parler avec légèreté de l’implication de Dieu, mais nous avons la possibilité, réelle et tangible, d’y penser dans nos réflexions, car c’est précisément la foi en Dieu qui a donné le ton à ces actions de l’Esprit et à ces nouvelles trompettes de liberté de Jéricho.

Les portes fermées et verrouillées se sont ouvertes, les murs de séparation ont été abattus. Un souffle de liberté s’est manifesté : tout cela sont des processus porteurs de consolation et d’encouragement qui se manifestent dans l’histoire la plus récente, dont Medjugorje fait partie, dont il est, en fait, un vrai contemporain et initiateur. Il ne nous faut pas perdre de vue ces processus : ils restent pour nous un panneau indicateur et le fondement de notre espérance. Nous ne devons pas non plus faire abstraction ni perdre de vue ce qui, dans l’histoire d’Israël, a suivi l’effondrement des murs de Jéricho. La joie et l’enthousiasme, le bonheur et l’exaltation à cause de la prise de la ville se sont transformés en un morne quotidien ; l’enthousiasme a cédé la place aux préoccupations et aux soucis de la vie quotidienne. Pour qu’un peuple subsiste, il ne lui suffit pas de vivre dans un même état ou dans un même pays. L’oubli de Dieu et l’injustice sociale, l’égoïsme débordant et la conception égoïste de la liberté ont poussé le peuple tout entier à la déchéance intérieure et à la décadence morale et spirituelle, au bout desquels nous trouvons un nouvel esclavage et la domination des étrangers et des ennemis du peuple. La déchéance intérieure, morale et éthique conduit à une nouvelle perte de la liberté, dont chaque page du Livre des Juges parle avec clarté. La liberté, y compris celle de l’époque post-communiste, paraît quand même trop exigeante. On ne la reçoit pas servie sur un plat, elle disparaît au moment où l’homme la veut illimitée. En d’autres termes, la chute du marxisme et du communisme n’engendre pas automatiquement des individus libres, ni des états libres, ni une société saine, ni une personne saine. Souvenons-nous de l’image donnée par Jésus : à la place d’un diable expulsé, l’esprit mauvais en trouvera sept, plus mauvais encore, pour revenir dans la maison balayée et nettoyée, mais vide (cf. Mt 12,43-45). Cette image se répète et se confirme en permanence dans l’histoire. Être libéré du joug du communisme ne signifie pas automatiquement avoir trouvé une nouvelle manière de vivre, ni avoir posé sa vie sur de nouvelles bases. La perte d’une idéologie - qui donnait le ton à toute la vie et qui la portait même d’une certaine manière - peut facilement tourner au nihilisme et à l’égoïsme, ce qui correspondrait au retour de sept esprits mauvais pires encore. Or, qui peut nier le fait que le relativisme omniprésent et l’indifférence auxquels nous sommes exposés ne conduisent pas précisément au nihilisme, à la négation de tout ce qui est positif et humain ?

La question décisive se pose donc à nous : avec quels contenus spirituels pourrons-nous combler le vide spirituel créé dans les âmes et sur la scène spirituelle après l’effondrement du marxisme, plus précisément de la meurtrière et terrifiante expérience marxiste ? Sur quelles bases spirituelles sommes-nous capables de construire un nouvel avenir pour réunir l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud de la planète ? Le travail pour établir un diagnostic de notre situation actuelle et des prévisions en vue du développement, des tâches et des possibilités à venir, doit être mené au niveau mondial, car le destin d’une partie de l’humanité dépend aujourd’hui de l’ensemble des relations entre les peuples : les décisions prises au plus haut niveau se répercutent au niveau le plus bas et vice versa. En parlant de ce qui nous est particulier, nous devons penser à ce qui est global, et inversement, en parlant globalement nous devons penser à ce qui est personnel, particulier.

LE DIAGNOSTIQUE DU TEMPS PRESENT

La signature, la principale caractéristique de notre siècle, pourrait être résumée en quelques points : croyance en un développement absolu - le progrès ; surévaluation des capacités de la science, de la technologie et de la civilisation ; messianisme politique incarné dans le nazisme, puis dans le marxisme. Dieu n’y est jamais mentionné, Dieu est remplacé par des objectifs terrestres, et cette négation systématique de son implication dans l’histoire et dans la vie humaine représente un Novum et un élément vraiment dangereux engendré par notre Europe et notre époque. Le bannissement de Dieu des consciences dans les domaines de la littérature contemporaine, de l’art, du cinéma et du théâtre conduit à l’omniprésence d’une image sombre et obscure de l’homme. Tout ce qui autrefois était grand et noble est aujourd’hui remis en question et rabaissé, dans la tentative d’être démasqué. La morale est considérée comme hypocrite, le bonheur comme illusoire, l’adhésion à ce qui est beau et bien comme impossible : le doute est devenu la seule attitude juste. Qui démasque autrui devient héros du jour et récolte le plus de succès dans la vie publique et dans les média. La critique de la société, de la politique et de l’individu est devenue la loi suprême des média, de sorte que dans une telle ambiance mentale il n’y a presque plus de place pour les valeurs, la foi, l’optimisme et l’avenir. La schizophrénie est omniprésente sur le podium du monde qui, d’un côté, voit ses erreurs, et de l’autre, demeure incapable de renoncer à son niveau de vie élevé, du moins en ce qui concerne l’Occident. Ce dédoublement est particulièrement évident dans la prise de position par rapport à deux faits de l’histoire récente : la catastrophe du réacteur atomique de Tchernobyl et l’expansion du virus du SIDA. La catastrophe de Tchernobyl manifeste clairement le danger représenté par l’énergie atomique qui trouve, d’ailleurs, de jour en jour de plus en plus d’opposants. En ce qui concerne la découverte du virus du SIDA, le signal d’alarme a également été donné : il est évident qu’incomparablement plus de personnes seront emportées par le SIDA qu’elles ne l’ont été par la catastrophe de Tchernobyl. Et pourtant, est-il possible d’élever publiquement la voix contre les comportements sexuels de nos contemporains, dont la peste de ce siècle est un fruit ? L’expansion du virus du SIDA est principalement due précisément à la dissolution des mœurs, à l’immoralité et à la débauche. Or, que se passe-t-il ? Quiconque appelle à la retenue et à la discipline dans le comportement sexuel au nom de la morale chrétienne et du Sermon du Christ sur la Montagne, soit-il le Pape en personne, est d’emblée évincé comme obscurantiste et condamné au silence et à l’échec, puisque, aux yeux de nos contemporains, il s’agit là d’une critique interdite de la liberté et du comportement humain. En un mot : une schizophrénie évidente de la pensée et de l’action. Il faut y ajouter le doute méthodique croissant à l’égard de la science. La foi en la science, au progrès et à la technologie commence à défaillir, le scepticisme et l’aversion apparaissent. Or, ces caractéristiques-là, peuvent-elles devenir les bases porteuses d’un avenir positif où l’on devrait bâtir quelque chose de sain, d’intelligent et de constructif ? Le ressentiment et le scepticisme ne peuvent jamais offrir de bases saines. Ce n’est pas avec le ressentiment et le scepticisme que l’on pourra dépasser les idées qui ne se laissent pas vaincre par leur simple négation ou avec une implication partielle, mais uniquement avec une idée plus grande, plus positive, par une adhésion plus grande et meilleure à quelque chose qui donne sens à la vie. Or, la foi est confinée au domaine du privé, ce qui conduit à la destruction des fondations sur lesquelles toute l’Europe et sa culture ont été bâties, et à la mise à l’écart des codes moraux et des traditions morales incorporées à l’âme européenne et à la société européenne. D’un côté donc, la foi est devenue une affaire privée et les convictions éthiques disparaissent ou s’éteignent, de l’autre, simultanément, l’occultisme, la magie et le spiritisme se répandent. Toutes les formes possibles de superstition exercent de plus en plus d’influence sur toutes les couches de la société, apportant ainsi une preuve supplémentaire de la présence ineffaçable et indestructible de la trace de l’Immortel, de Dieu, dans l’homme brisé et cassé.

Nous sommes confrontés à la sécularisation massive et au sécularisme, à l’exode de l’Église, surtout en ce qui concerne les femmes. Nos églises restent vides, mais les formes orientales de méditation trouvent de plus en plus d’adeptes, et la jeunesse est en quête de ce qui pourrait la combler intérieurement et extérieurement, qui pourrait donner un sens à sa vie et à son action. Malgré ces préfixes contraires, les signaux de renaissance de la foi dans les âmes existent, surtout parmi les jeunes. De jeunes mouvements existent dans toute l’Église et partout dans le monde. Ils portent en eux une force formidable de la foi renouvelée, possèdent un sérieux moral et éthique convaincant, ainsi que la disponibilité à engager leurs vies pour les idéaux de l’Évangile. Tout cela est tellement évident à Medjugorje et autour de Medjugorje. De tels mouvements peuvent être un levain fécond capable d’infuser la force vitale et la crédibilité aux valeurs humaines qui donnent leur empreinte à notre espace vital et à notre civilisation. Le fait que de plus en plus de jeunes quittent l’Église ne doit cependant pas nous surprendre : dans l’homme, comme nous l’avons déjà dit, il y a une attente du salut immédiat et inconditionnel. Les gens ont l’impression de ne pas être sauvés, d’être aliénés, ils recherchent le sens et veulent être comblés par quelque chose de sublime. C’est la raison de la présence de formes modernes de gnose et d’ésotérisme, à l’œuvre surtout parmi les jeunes. Nous y rencontrons de multiples formes de succédanés du religieux, souvent des mélanges étranges du rationnel et de l’irrationnel. L’occultisme et la magie sont toujours attractifs, ainsi que les tendances parapsychologiques et les mythologies astrales d’origine cabalistique et autre. Il s’agit là toujours d’une forme de religion qui ne recherche pas le cœur de l’homme, sa foi et sa confiance, mais qui, à l’aide de rituels ou d’effets psychologiques, cherche à pénétrer les couches profondes de l’être humain ; il s’agit également de tentatives pour parvenir aux sensations de détente, de détachement et de libération, il s’agit de l’attente d’un soutien à recevoir de la part des forces mystérieuses cachées qui devraient affermir la personne face à ce qui la menace dans son humanité. On veut dominer la technique de la rédemption ou de l’auto-rédemption et on fait pour cela appel à des rituels religieux extraeuropéens ou archaïques : druides, celtes, chamans, indiens etc. Puisque la scène spirituelle contemporaine est envahie par l’impersonnalisme, comme la pensée philosophique est impersonnalisée, ce qui correspond à cette pensée impersonnelle est une foi, une dévotion impersonnelle, ce qui est le cas, par exemple, des religions asiatiques. Aujourd’hui, cette tendance est évidente même parmi les chrétiens, tendance à la diffusion de la dévotion dans les options personnelles : on célèbre la dévotion cosmique, l’immersion dans la divinité ou les divinités, de sorte que l’on peut parler de la divinité ou des divinités asiatiques et du Dieu chrétien. Dévotion comme une sorte d’immersion, de diffusion, de délivrance, de libération du poids de l’être et de la vie, retour aux étoiles, croyance aux horoscopes et à l’astrologie.

S’il y a un poids particulier qui pèse actuellement très lourdement sur la scène contemporaine mondiale, c’est la drogue. Depuis que l’homme existe, il consomme la drogue d’une manière ou d’une autre, mais jamais autant qu’aujourd’hui. Pourquoi un tel engouement pour la drogue ? Ses origines sont à chercher dans les besoins intérieurs et dans l’imperfection de l’homme, dans le vide de l’âme. L’envie de drogue n’est qu’une expression du cri de l’âme après le bonheur, après le vrai sens de la vie et la vraie réponse à la vie. Avec la drogue, l’homme veut se libérer de la prison de son corps ; la drogue n’est qu’une expression de sa révolte contre l’état des choses actuelles et les faits qui l’entourent. Qui prend la drogue refuse de s’accommoder du monde existant, il recherche un monde meilleur qui procure plus de bonheur. La drogue est le fruit de la déception d’un monde perçu comme prison, puis le fruit d’une quête d’aventure, de non-conformisme. C’est une révolte contre le monde conçu comme prison de l’homme, et la quête d’une nouvelle réalité. Le grand voyage dans les espaces offerts par la jouissance de la drogue n’est qu’une forme pervertie de la mystique, une forme pervertie de l’instinct qui oriente l’homme naturellement vers l’éternité, vers l’infini, vers la vie. C’est une tentative de s’écarter de son être et de sortir de sa peau - considérés comme prison - à l’aide de la chimie. La drogue est une tentative extérieure visible d’anticiper le monde à venir et le bonheur dès ici-bas. C’est logique, puisque ceux qui façonnent l’humanité moderne croient ne jamais pouvoir parvenir au bonheur final ; ils choisissent donc de faire des pas risqués avec la drogue. C’est un chemin totalement faux, car nous savons comment les mystiques, eux, parvenaient à leurs expériences : à travers le renoncement, l’humilité, l’ascèse, les petits pas pour gravir le Mont Carmel, ou pour descendre dans le château de leur âme ou dans les profondeurs de leur cœur. On cherche à éviter ce chemin là en s’emparant de la clé magique de la drogue ; la morale et l’éthique sont ainsi remplacées par la technique et la chimie. La drogue est une pseudo-mystique du monde incapable de croire, qui s’est enfoncée dans une pseudo-religion, expression de l’instinct qui pousse l’âme à retourner au paradis. C’est pourquoi la scène contemporaine, surtout celle de la drogue, est un signal d’alarme révélateur de tout le vide de notre société. Au cœur du désert de cette vie, elle est le cri de l’homme en quête de sa réalisation humaine, immanente à son âme et à son cœur, puisqu’il a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Cette même interprétation ou une interprétation semblable peut être appliquée à la scène terroriste contemporaine et aux mouvements révolutionnaires. Le dégoût de ce qui existe et l’aspiration au changement ne sont qu’une expression extérieure du besoin intérieur de changer l’état des choses. Cependant, tout cela repose sur une prémisse erronée : à travers ce qui est conditionné - on cherche ce qui n’est pas conditionné, à travers ce qui est fini - on cherche l’infini, à travers le terrestre - on cherche ce qui est éternel et céleste. Cette contradiction intérieure de la scène existante manifeste tout le tragique du phénomène que nous affrontons, où la magnifique vocation de l’homme devient l’objet d’un terrible mensonge et d’une supercherie. Car le but ultime n’est pas le paradis sur terre, utopie irréalisable, mais le Royaume de Dieu comme avant-goût de l’éternité, l’Évangile comme norme de la vie et de l’action. Le messianisme politique et le terrorisme zélote - qui ont cherché à se présenter comme une actualisation de l’Évangile lui-même et des exigences révolutionnaires de Jésus, bien que dans les paroles de Jésus il n’est pas possible de trouver un seul point d’appui pour quelque forme de violence que ce soit - sont entre temps en baisse, mais de profondes blessures demeurent dans le psychisme contemporain. L’augmentation de la consommation de la drogue n’est qu’un signe du vide spirituel qui reste à l’homme déçu des promesses et des supercheries idéologiques. La scène cinématographique, télévisuelle et médiatique est envahie par la violence et la haine, les metteurs en scène cherchent par tous les moyens à présenter le monde du crime régi par la loi du plus fort.

LA RÉPONSE QUI VIENT DE LA FOI

Et pourtant, la vie n’est pas un jeu, la loi du plus fort n’y règne pas. La vie est tissée de souffrance et d’amour, de péché et de grâce, de tentations diaboliques, de refus de la tentation et de la victoire sur le tentateur. À Medjugorje, nous sommes en présence d’un appel évident au retour au Dieu de la vie, nous sommes en présence d’un appel à la prière personnelle comme réponse de la liberté humaine à la liberté divine, comme rencontre de deux amours. Medjugorje est une affirmation claire de la personne, de l’individu, face à la tendance à vouloir se fondre dans une unité ou avec un Un cosmique auquel aspire le New Age. Combien même certains prétendent que le théisme est en train de disparaître, nous voyons que la foi ne se perd pas, que la religion ne meurt pas et ne passe pas, mais revêt une forme nouvelle et différente, changeant ainsi son essence intérieure. Dans le christianisme, nous avons la synthèse parfaite, mais pas du tout facile, de la raison, de la volonté et des sentiments. Cette synthèse est hautement subtile, toujours dans une tension intérieure, au point d’être à tout instant en danger de virer dans un sens ou un autre. Cette même tension peut également se trouver en dehors du christianisme. Presque toutes les religions du monde sont conscientes de l’unicité de Dieu, et même le polythéisme comprend clairement que les dieux ne sont pas le pluriel d’un Dieu, car il n’y a pas de Dieu au pluriel. Dieu est un et unique. Les dieux, bien que désignés par le même mot que Dieu, sont toujours des forces d’un niveau inférieur. Il arrive cependant dans les religions que ce Dieu unique disparaisse, qu’il soit éclipsé de la vie pratique, et que les divinités apparaissent sur la scène. Ce Dieu unique n’est pas dangereux, il est la bonté même, il ne fait aucun mal à personne ; aussi les rituels et les cultes ne le concernent pas, lui, mais s’adressent aux divinités et aux puissances qui entourent notre vie et avec lesquelles il faut composer. Il s’agit là de l’apostasie permanente constatée dans l’histoire des religions, présente également aujourd’hui dans notre Europe post-chrétienne. C’est la raison pour laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés au péril du néopaganisme. L’homme qui exclut Dieu comme le seul et unique bien, mais lointain, se tourne vers les puissances menues, petites et proches qui l’entourent, se rabaisse ainsi et se crée – selon les paroles d’un Freud athée - des dieux prothétiques. C’est la décomposition du christianisme, de la synthèse chrétienne, c’est la décomposition de Dieu lui-même, qui conduit à la désagrégation et à la décomposition de l’homme. À ce propos, Paul se positionne clairement : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas selon la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, au service de Dieu, la puissance de renverser les forteresses. Nous renversons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu, et nous faisons toute pensée captive pour l’amener à obéir au Christ. » (2 Co 10,3-5)

Dans la quête de la réponse et du vrai remède, il nous faut commencer par nous-mêmes. Quelles sont les forces dont nous disposons et avec quelles forces pouvons-nous compter à cet instant ? Quelles sont nos tâches, quels sont les dangers qui nous guettent ? Il nous faut d’abord dépasser le nationalisme et la division idéologique. Le communisme nous a laissé en héritage le désert idéologique dans les âmes, le chaos dans l’économie, un poids qui pèse lourdement, et chez nous la guerre en plus. Il faut une volonté commune et ferme de la part de tous pour dépasser la situation actuelle et avancer vers l’avenir.

Il nous faut d’abord chercher les fondements communs. Quel est notre fondement commun, notre base commune ? Nous dirions : notre appartenance au milieu culturel occidental et la base chrétienne dans les fondements de notre réalité. Aujourd’hui, tout est orienté vers l’état de droit et vers la liberté fondée sur le droit. La liberté et le droit ne sont pas deux notions opposées, mais conditionnées l’une par l’autre. Le législateur ne peut proclamer n’importe quoi comme juste, et la justice ne peut tout simplement être déduite des statistiques. Il doit y avoir une prise de conscience de la responsabilité devant l’histoire, devant la dignité de l’homme et devant Dieu. Tout doit reposer sur les fondements que le législateur doit présupposer et non déterminer. Aujourd’hui, ces prémisses sont assez déstabilisées dans la société à cause de la permissivité et de la déchéance morale de la civilisation occidentale. C’est pourquoi il faut jeter un coup d’œil en arrière, pour pouvoir analyser le passé et le présent, et donner des vues prospectives sur le futur.

Dans les années soixante de ce siècle, un grand virage était dans l’air : d’un côté, vers la fin des années soixante, nous avions les mouvements étudiants qui ne peuvent être observés dissociés de l’Église. Ils ont remis en question le progrès social et économique acquis à grand peine, menaçant la société de chaos et d’anarchie. La crise d’autorité a secoué les fondations du système social. Ces mouvements sont issus des changements post-conciliaires à l’intérieur de l’Église même, mais également de la théologie protestante américaine. En 68, on célébrait à Paris sur les barricades l’eucharistie considérée comme fraternisation entre les combattants de la liberté anarchiste et comme signe d’espérance pour le messianisme politique mondial, en train de naître dans la violence et la terreur. Ceci manifeste clairement qu’une caractéristique religieuse, ou plutôt pseudo-religieuse, se trouve à la base de ce mouvement révolutionnaire. Nous pouvons trouver cette même implication théologique dans le terrorisme italien et allemand des années soixante-dix. Il est impossible de comprendre le terrorisme italien si l’on fait abstraction des crises et des ébullitions présentes dans le catholicisme italien post-conciliaire.

Souvenons-nous donc : vers la fin des années cinquante, Jean XXIII a annoncé un projet presque utopique, la convocation d’un Concile œcuménique. L’ouverture et le déroulement du Concile sont devenus l’événement central de la deuxième moitié du XXe siècle. Le Concile a consciemment pris une orientation pastorale qui consiste dans l’ouverture de l’Église au monde, dans l’ouverture des fenêtres et des portes, mais il a délibérément évité les pièges des conciles précédents : il n’a visé ni le dogmatisme ni la proclamation des définitions dogmatiques ou celles de la théologie morale. On a peut-être ressenti le fardeau que représentait la définition du dogme de l’Assomption de Marie proclamé sous le pontificat de Pie XII, pour qui ce dogme devait représenter le couronnement de son pontificat, mais qui a provoqué l’effet inverse : l’intelligence est restée sur sa faim et les fronts interconfessionnaux bloqués.

Le Concile était très dynamique, à l’encontre et malgré les attentes de la Curie romaine. Il s’est ouvert aux questions et aux problèmes du temps et de l’époque, aux problèmes de l’Église, des pays en développement, aux religions non-chrétiennes, aux confessions non-catholiques. Il a entrepris des pas courageux en direction de la réforme de la liturgie et a transmis des impulsions pastorales extraordinaires. Au point culminant du Concile s’opère le changement du pontificat, et les évêques commencent à se lasser : il y avait trop de demandes de changement et de modification des schémas et des propositions conciliaires, seules certaines d’entre elles pouvaient être incluses dans le tissu des documents conciliaires finalement publiés. Mais que s’est-il passé après le Concile ?

Nous dirions, beaucoup d’opacité, de mauvaises compréhensions des décisions conciliaires, un vrai galimatias dans de nombreux domaines de la vie et de l’action. La désertion et l’exode de nombreux prêtres, religieux et autres membres de l’Église. Le pontificat du Pape Paul VI s’est déroulé sous le signe du renouveau et de la progression, mais aussi d’une certaine restauration et du blocage. Le pontificat actuel du Pape Jean-Paul II est marqué par ses innombrables voyages et pèlerinages dans le monde entier, qui ont pour conséquence l’ouverture de l’Église au monde entier, le passage d’une Église statique à une Église dynamique, et donc à la collégialité, plus précisément à la solidarité du Pape de Rome avec le monde entier et avec l’humanité entière. Le Pape actuel dialogue avec toutes les religions, car, selon le Concile, nous trouvons des éléments et des graines de la vérité dans chacune d’entre elles. Ses voyages dans le monde entier sont en même temps un adieu à la conception occidentale du christianisme au profit d’une ouverture universelle et de l’inclusion des cultures latino-américaine, asiatique et noire dans l’Église. Y contribue également une nouvelle conception du pèlerinage qui, du point de vue de l’histoire des dogmes, porte dans ses fondements une nouvelle conception de l’Église : non comme une grandeur statique, mais comme peuple de Dieu en marche, donc non Église comme institution divinement supérieure au monde entier, mais Église comme peuple de Dieu qui, avec le monde entier, est en route vers son but eschatologique. C’est pourquoi le Pape est le signe même de ce cheminement, un point de référence pour tous ceux qui voyagent et viennent en pèlerinage à Medjugorje. Le dépassement de toutes les frontières, le rassemblement de tous en une seule unité. C’est ainsi que se réalise ce que Paul VI a déjà formulé, et ce que Jean-Paul II a repris de tout son cœur, sous le nom de la civilisation de l’amour. Aussi à la culture de la mort omniprésente dans laquelle nous vivons, il faut opposer Jésus Christ et le christianisme vivant comme l’alternative au style de vie contemporain, alternative offerte par la foi en Jésus Christ.

NOUVELLE CONCEPTION DE LA FOI : LA FOI COMME LE FRUIT DE L’EXPÉRIENCE

En même temps que les manifestations des étudiants des années soixante, nous rencontrions dans le domaine religieux des phénomènes singuliers, relevant, dirait-on, presque de la Post-moderne. Les jeunes, enthousiasmés par Jésus, formaient des communautés comme « Jesus People » et créaient des expressions musicales comme le rock-opéra « Jesus Christ Superstar ». En tant que personne, Jésus est sympathique, mais on lui enlève ses attributs divins, on l’arrache à l’Église. Jésus oui – l’Église non, c’est le slogan tant répandu. Le Concile a fait son travail en ce qui concerne un plus grand personnalisme dans l’Église, mais également en ce qui concerne un plus grand personnalisme dans l’acte de foi. Jusqu’au Concile prédominait l’image de l’Église comme Corps mystique du Christ, le Concile a permis la percée de l’idée du Peuple de Dieu, alors que la Constitution dogmatique sur la Parole de Dieu, à savoir sur la Révélation, dit expressément au sujet de la foi : « À Dieu qui révèle est due "l’obéissance de la foi" (Rm 16,26 ; cf. Rm 1,5 ; 2 Co 10,5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu dans "un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle" et dans un assentiment volontaire à la révélation qu’il fait. Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne "à tous la douceur de consentir et de croire à la vérité". Afin de rendre toujours plus profonde l’intelligence de la révélation, l’Esprit Saint ne cesse, par ses dons, de rendre la foi plus parfaite. » (Dei Verbum 5)

Si nous comparons ces mots à ce qui a été dit au Premier Concile de Vatican, nous y voyons une différence essentielle. En ces derniers temps, nous sommes témoins d’un retournement dans la conception de la foi. Le problème n’est plus de croire aux dogmes, aux vérités de la foi, et de les accepter dans la vie, mais le problème est l’expérience de la foi. L’élément de l’expérience prédomine dans presque toutes les questions et problématiques religieuses. Les éléments et les moments d’expérience sont devenus presque la condition pour que l’on soit disposé à croire et à donner sa confiance ou son cœur (latin. credo = cor do). C’est devenu comme une règle non écrite : donne-moi ton expérience, montre-moi ton expérience, et je te croirai. Par conséquent, cette question pourrait se résumer à un problème particulièrement actuel aujourd’hui. Jusqu’à présent, la règle fondamentale pour la transmission de la foi était la transmission d’une certaine quantité de savoir, d’informations sur la foi et les contenus religieux. L’information, cependant, aussi complète soit-elle, comporte un déficit. Ce mode de transmission, surtout dans la situation spirituelle contemporaine, perd de plus en plus sa base et son fondement. Il n’y a plus rien à prouver ou à démontrer à nos contemporains, car ils sont mûrs et adultes. Ils ne sont plus dans l’état d’immaturité. Jésus lui-même ne faisait pas les signes et les miracles pour prouver quoi que ce soit, mais pour introduire les gens au mystère de sa personne et de sa mission, ainsi qu’au mystère de la confiance et de la foi.

Il faut donc, et c’est ce qui se fait à Medjugorje, passer du modèle instructif de transmission de la foi au modèle inspiratif, puisque l’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans la personne et que la personne s’ouvre à ce que l’Esprit inspire. On peut ici donner l’exemple du théologien Karl Rahner. Vers la fin de sa vie, au seuil de l’éternité, il se plaignait du froid, de l’hiver qui règne dans l’Église, de l’Église froide. Il pensait probablement aux orientations restauratrices dans l’Église, aux fronts théologiques bloqués, à l’essoufflement du mouvement œcuménique, et au manque de résonance du Concile et de la pensée moderne théologique dans le public plus large. Cependant, sous la neige et sous le givre se trouvent les germes d’un nouveau printemps, naît une nouvelle vie et le printemps se réveille progressivement. C’est pourquoi le même Rahner pouvait dire avec raison que le croyant, le chrétien de demain et du prochain millénaire, sera mystique ou ne sera plus. De quel droit Rahner parle-t-il ainsi ? La foi et la prière, la théologie scientifique et la mystique sont toujours inséparables. L’un n’existe pas sans l’autre. Le sens intérieur et la confirmation de cette affirmation procèdent du fait que seule une foi mystiquement approfondie peut accorder à l’homme marqué par les angoisses et les détresses existentielles le sens profond dans la quête de son identité. Ne sommes-nous pas confrontés au syndrome de la réincarnation, qui n’est au fond qu’un fruit de l’échec dans la quête de l’identité ? Dans de telles constellations, nous avons une réponse mystique, plutôt une époque mystique en réponse, comme chemin vers le but personnel. Dans ce cas, le chemin est le but et le but est le chemin.

Au centre de toute mystique se trouve la pensée de Paul que ni la théologie ni la mystique ne peuvent épuiser : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20) Le christianisme de demain ne doit et ne peut rester dans ses propres antichambres, il doit pénétrer au centre de ses possibilités. Plus cela arrive, plus sa figure change, plus il est orienté vers sa forme mystique. Le christianisme devient ainsi une religion d’espérance, de liberté et de paix. Il devient surtout une religion de dépassement des angoisses existentielles, puisque l’homme contemporain est cerné par les angoisses, ligoté dans son énergie vitale, incapable d’accepter sa propre personne et son avenir, et vit le dos tourné à son avenir. L’homme contemporain est incapable de répondre aux sollicitations qui le rendraient capable de supporter les défis du temps présent et de se tourner vers l’avenir avec assurance et confiance. L’existentialiste Karl Jaspers a déjà dit que l’angoisse existentielle, jamais aussi présente qu’à notre époque, était devenue l’effroyable compagnon de l’homme. Sans aucune ambiguïté, l’angoisse est devenue la caractéristique de l’homme moderne, elle est l’acide qui ronge la joie de vivre et décompose la volonté de vivre. C’est pourquoi la foi est son seul vrai contraire et le seul remède, car la foi nous ancre dans la réalité du Dieu présent dans l’histoire, alors que l’angoisse dérobe le sol sous nos pieds. L’homme angoissé est suspendu au-dessus de l’abîme du néant. Une telle peur engendre également l’impossibilité d’une vraie communication entre les hommes, car celui qui vit dans la peur n’est pas capable d’articuler son état et sa détresse. L’homme angoissé n’est pas capable de dire un mot. Le dernier mot, le résumé de tout le kerygme de Jésus dans l’évangile de Jean, contenu dans le discours des adieux, c’est : « Dans le monde vous aurez peur. Mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde. » (Cf. Jn 16,33)

L’homme contemporain en quête de Dieu a besoin de la foi des témoins et non d’une explication ou d’une argumentation intellectuelle. Il compte davantage sur le témoignage des convaincus que sur l’intelligence des instruits, et la foi ne se transmet pas tellement par le biais de l’intelligence, mais par le témoignage de ceux qui - par leur vie et leur souffrance - lui donnent un nouveau sens et la crédibilité. C’est tout particulièrement évident dans l’ex-bloc communiste, où la foi s’est montrée plus forte que le soi-disant socialisme scientifique, précisément grâce à la souffrance et à l’humilité des victimes, dont les vies manifestent la présence de l’espérance et la promesse de la foi. Cette foi n’est pas une résignation ou un repli, une fuite dans l’irrationnel à cause des dangers de l’intelligence pratique, mais le courage to be, l’audace par rapport à l’existence et l’être, un appel prophétique et un élan vers les espaces auxquels toute la réalité qui nous entoure appelle. Aujourd’hui, et de plus en plus, la raison, la science et la rationalité technique sont pris en aversion, et c’est pourquoi il est extrêmement important de souligner la dimension essentiellement logique de notre foi, afin qu’elle soit logiké latreia (cf. Rm 12,3), le culte raisonnable et l’offrande, la synthèse vitale de tout l’homme, et non le fruit d’un saut irrationnel dans quelque chose d’inconnu. Le mystère en soi n’est pas une irrationalité, mais la profondeur extrême de l’intelligence divine que nous ne pouvons pénétrer par nos yeux humains limités. C’est pourquoi St Jean peut dire : Au commencement était le Logos, l’intelligence créatrice, la force de la connaissance de Dieu qui donne le sens, le commencement de toute chose. C’est à l’homme de découvrir les traces de cette Intelligence divine et de développer et interpréter dans cette direction le sens des choses et de la réalité créée.

LA PASTORALE DÉVELOPPÉE JUSQU’A PRÉSENT ET LE RÔLE THÉRAPEUTIQUE DE MEDJUGORJE

La situation spirituelle contemporaine exige que l’Église réfléchisse à sa pastorale. Si, jusqu’à présent, la pastorale s’était orientée vers la mise au pas des fidèles, son sens est désormais de les rendre capables d’affronter le combat de la vie, car le choix de la vie est en même temps le préambule de la foi. Il s’ensuit la nécessité de la corrélation entre la foi et la prière. L’homme contemporain doit comprendre que les fondements de la foi sont dans la prière, car la prière, comprise dans sa structure interne, accueille le problème de Dieu et y répond au sens plénier du terme. La foi et la prière sont – et Medjugorje l’a prouvé maintes fois – la clé pour une vie plus riche, une vie pleine de compréhension et d’accueil mutuel, de pardon et de communion, de certitude et d’abandon, de paix et de joie. C’est à une telle foi que l’avenir appartient, et c’est seulement vers une telle foi qu’est orienté Medjugorje, avec tout ce qui s’y passe depuis quatorze ans. Une telle foi inclut et accepte la liberté comme le but final de tous les efforts de l’homme, et la paix comme le propos général de tous les efforts humains en ce siècle : la paix non en tant qu’absence de la guerre, mais en tant qu’omniprésence de Dieu lui-même dans sa création.

C’est ainsi que Medjugorje se présente au monde à travers de nouvelles formes de la pastorale personnelle et évangélique. Au jour le jour, Medjugorje nous invite à l’optimisme et à l’audace, malgré l’atmosphère de guerre et toutes sortes de trompettes apocalyptiques, parce que le christianisme est la religion de la Bonne Nouvelle, du message joyeux sur la vocation de l’homme à la liberté, à la vie qui ne connaît aucune peur paralysante.

La scène économique contemporaine est marquée par le règne de la logique du marché, du capital, de l’achat-vente, du produit et du revenu national brut, ce qui entraîne la standardisation, le nivellement, l’aplanissement non seulement de la marchandise, mais également de l’expression spirituelle, ce qui conduit au nivellement des âmes et à l’uniformisation de l’opinion, à la disparition ou à la perte de la liberté du développement personnel. Certains ont pensé pouvoir appliquer le modèle américain ou celui de l’Europe Occidentale au monde communiste ou au Tiers Monde, mais ces tentatives ont, jusqu’à présent, fait banqueroute. L’eurocentrisme est devenu une sorte de mauvaise conscience de l’Europe, ce qui s’est manifesté lors de la célébration du 5e centenaire de la découverte de l’Amérique : à la place de l’unité et du triomphe, nous avions la colère et les regrets, en sorte que l’histoire des découvertes européennes s’est transformée en histoire de ses chutes morales, de ses péchés et de ses échecs. C’est pourquoi, dans une telle atmosphère, la foi n’est pas un chemin facile. Qui la présente ainsi fera naufrage. La foi nous expose aux défis, car elle a une considération plus haute et meilleure de l’homme qu’il ne l’a de lui-même.

Si nous avons commencé cette réflexion par une comparaison biblique, nous voudrions observer l’impact de Medjugorje également dans le contexte biblique, bien que toute comparaison reste boiteuse. L’impact de Medjugorje peut être comparé à l’expansion du christianisme, surtout au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne. L’Empire Romain était rongé de l’intérieur, comme par un cancer de la moelle osseuse. Pour guérir de ce cancer, pour redonner la vie à l’organisme, il faut transplanter la moelle osseuse. Le christianisme était quelque chose comme une nouvelle moelle osseuse, il a apporté la fraîcheur, cette nouvelle moelle, et le monde a repris vie. Les chrétiens ont pris à la lettre l’injonction de Jésus : annoncer et diffuser la Bonne Nouvelle et la guérison ! Souvenons-nous des dernières paroles de l’évangile de Marc sur les signes qui accompagneront l’annonce apostolique. L’homme est toujours le même. Jésus a annoncé en guérissant, il a guéri en annonçant. Les deux sont inséparables. Jésus est maître et prédicateur, guérisseur et thérapeute. Les apôtres le savaient bien, les missionnaires des premiers siècles ont repris le flambeau : tout en annonçant, ils ont offert la santé psychique, spirituelle et physique. L’homme contemporain languit après la santé et le salut, et c’est pourquoi il a besoin d’une religion thérapeutique, d’une annonce thérapeutique de la foi. Car le mot latin salus, le mot grec soteria, le mot allemand Heil, que veulent-ils dire d’autre que d’abord la santé, et seulement après le salut ? Nous le traduisons comme le salut, la rédemption, notions abstraites, alors qu’il s’agissait toujours de l’implication de tout l’être, dans le sens de la guérison totale. Chaque génération, les hommes de tous les temps souhaitent précisément cela. Où trouver le salut et la guérison ? Nous voyons ce qui est offert aujourd’hui sur le marché des idées, de quelle manière l’on cherche à guérir l’homme, quelles sont les nombreuses propositions de divers guérisseurs ou charlatans. La même situation spirituelle était présente au début du christianisme. Le monde recherche la santé et le salut, et – dans cette forêt immense de diverses propositions de santé et du salut – le christianisme, avec sa particularité, dépasse toutes les autres religions et tous les autres cultes. Il réalisait ce qu’il promettait. La victoire était garantie avant même que l’on pose pour elle les fondements théoriques. À la place d’un Esculape ou d’un Asclepe mythique, nous avons Jésus Christ, le vrai médecin, soutien, guide et maître. Le christianisme primitif se définissait comme une religion de guérison, de la vraie thérapie, comme la médecine de l’âme et du corps, et c’est précisément avec lui que commence dans le monde la médecine systématique et le soin des malades, l’un des domaines les plus importants et les plus efficaces de l’action chrétienne. Souvenons-nous ici seulement des versets finaux du Livre de la Révélation où il est dit qu’autour du trône de Dieu se trouvent les arbres de vie qui donnent du fruit tous les mois, douze fois par an, que leurs feuilles servent à la guérison des païens et qu’il n’y aura plus de malédiction. (Ap 22,2) C’est ainsi que se présente Medjugorje dans l’Église et dans le monde contemporains. Y aurait-il une telle affluence, si tant de personnes n’avaient pas fait l’expérience de la guérison et du salut ?

MEDJUGORJE ET L’HISTOIRE DU SALUT

Le contexte historique et théologique de Medjugorje, c’est l’histoire du salut, ce qui n’est pas étonnant ni surprenant dans l’histoire de l’action de Dieu dans le monde et dans sa création. Dieu n’a jamais abandonné l’homme ni l’humanité au désespoir. Lorsque l’homme abandonnait Dieu pour se fier à ses propres forces, ce qui est particulièrement visible dans l’Ancien Testament, il allait régulièrement vers la déchéance et la catastrophe. Israël, et nous aujourd’hui, devons comprendre que ce ne sont pas la puissance économique ou militaire qui font de nous un peuple, mais l’intervention directe de notre Dieu dans notre histoire. Il nous a choisis, il nous a conduits et il nous conduit. Seulement sous la conduite de Dieu il est possible de sauvegarder l’idée pure de Dieu et de mûrir en tant que Peuple de Dieu. L’homme languit après un espace où il pourra souffler, être accueilli, confirmé, il languit après un espace où l’aliénation n’existe pas, où il est chez lui dans la foi et dans la vie. C’est pourquoi il a besoin de l’Église du Dieu incarné, qui est le Dieu de tous les hommes, à l’instar d’un bon hôte. C’est ce que Medjugorje a offert et réalisé dès ses premiers jours.

Si nous considérons rétrospectivement l’histoire de l’Église et du christianisme, nous verrons qu’aux sommets des crises il a toujours eu des signes de changement et de tournant, de retournement, des signes historiques et des signes des temps. Tous les grands réformateurs, restaurateurs de l’Église et de la société, sont apparus au paroxysme des crises. L’apparition de la vie religieuse en Église peut s’expliquer précisément par les états de crise dans l’Église. Les ordres religieux sont une réponse à la crise de la foi. Sur la scène spirituelle nous avons pareillement des phénomènes semblables, des remèdes. Après la réflexion destructrice de Descartes, nous avons le génie de Pascal qui donne de nouveaux paramètres à l’esprit et à la spiritualité européens. Après Kant, Hegel et la philosophie idéaliste, nous avons les existentialistes comme Kierkegaard, et après le nihiliste destructeur qu’était Nietzsche, qui avait déclaré la mort de Dieu, nous trouvons le philosophe russe Soloviev qui affirme que Dieu existe. Quelle que soit la force de la critique de la religion, le miracle du théisme dépasse tous les pièges et tous les problèmes. La critique laisse derrière elle le vide, la frustration et la souffrance, mais au bout du compte, toute critique parle en faveur de ce qu’elle nie : si la religion est niée, la négation même devient le symbole de la nécessité et du besoin de ce qui a été nié. La religion devient une nécessité. L’antichristianisme prononcé est toujours salutaire pour le christianisme, car il met en exergue ses problèmes et sa manière de négliger l’essentiel. Ici aussi nous voyons le rôle thérapeutique de Medjugorje qui apparaît au sommet de la crise de la réflexion occidentale et de la terreur communiste dans le monde entier.

Pour l’homme, dominer signifie servir, sa liberté le relie à la vérité nécessaire intérieure des choses et à l’ouverture à l’amour qui le rend semblable à Dieu. Aussi est-il possible de mettre les événements de Medjugorje et les voyants dans cette catégorie de témoignage fondé sur la raison. Marie, en tant que témoin et prophète, et Dieu qui intervient d’une manière fondamentale dans la vie des personnes qu’il prend à son service. C’est un appel immédiat, psychologiquement inaccessible et inexplicable, et il est impossible de s’y soustraire sans se renier soi-même. Le message de Medjugorje est également prophétique ; Martin Buber dit au sujet du message prophétique que l’esprit prophétique ne raisonne jamais comme l’esprit platonique, à savoir prétendre posséder la vérité générale au-dessus du temps. Il reçoit message après message dans des situations très concrètes, et c’est précisément pour cette raison que sa parole, après tant de millénaires, parle au peuple dans les conditions égales ou différentes de son histoire nationale. Ce message est régulièrement désagréable et angoissant, et une personne devient la voix et le médium de Dieu. Dans notre cas, il s’agit de Marie et de quelques voyants. La relation du prophète à l’avenir n’a rien à voir avec une prédiction. Prophétiser signifie mettre une communauté et l’individu indirectement ou directement devant un choix et une décision. L’avenir n’est pas offert sur la paume de la main comme quelque chose dont on saurait tout, mais il dépend essentiellement de la justesse de la décision, plus précisément de la décision que l’homme prend dans un moment donné, et à laquelle il participe dans un moment historique. Le prophète met les gens toujours devant une alternative, cherche à changer de cap, toute son âme y est impliquée, ses paroles tremblent de peur et d’espérance à cause de la grandeur et de la force de la décision. Le prophète est en général quelqu’un qui accuse, qui n’annonce pas une morale ennuyeuse ou une éthique de comportement, mais l’infaillibilité et l’éternité de la parole et de la loi de Dieu.

L’homme contemporain est confronté aux possibilités terrifiantes du progrès technologique qui lui donnent froid au cœur. Les interventions directes dans le génome humain, l’intervention dans la capacité créatrice même, puis la possibilité de réduire cette terre - par ses propres forces - à une réalité apocalyptique, à cause des excès dans le domaine de l’armement. C’est pourquoi il a besoin de prophètes qui par leurs vies donneront la direction et orienteront vers l’au-delà, vers les réalités d’en-haut, vers la transcendance. L’immanence, les réalités d’ici-bas, sont trop étroites pour l’homme. En contestant l’au-delà, l’homme s’est laissé aller à la glorification de la vie d’ici-bas, cherchant à tout prix à donner des preuves qu’il est vivant. L’avidité et la voracité dans tous les domaines ont atteint leur apogée ; or, à l’apogée ne se trouve pas la satisfaction, mais l’insatiabilité et le dégoût, la dévalorisation de la vie et le rejet de tout ce que l’homme n’aime pas ou n’aime plus. C’est ainsi que l’avortement, l’euthanasie et le suicide ne représentent finalement que des épiphénomènes et le fruit naturel d’une telle conception de la vie, à savoir de la négation du choix fondamental à faire, plus précisément de la responsabilité devant l’éternité et devant l’espérance éternelle. L’avidité finit dans le dégoût ; à la fin, l’homme lui-même devient un déchet : nous en trouvons des preuves dans la littérature contemporaine et dans l’omniprésente culture de la mort qui a remplacé la culture de la vie et de l’amour.

Il est tout à fait possible d’enfouir ou de falsifier la profondeur du message divin dans l’homme, mais il jaillira toujours à nouveau à la surface et se frayera le chemin dans son âme. C’est pourquoi nous constatons l’omniprésent appel à la concentration, à la méditation, à la contemplation, au sacré, au contact avec Dieu. C’est un appel inéluctable à une époque où la conception de la vie – dont la drogue, la violence, le terrorisme et la révolution ne sont que des formes extérieures d’expression – est réduite uniquement au monde des faits et du visible, où l’intelligence est réduite à ce qui est mesurable et quantifiable, et non élargie à ce qui est qualifiable et valable. Pour que l’homme soit un homme, il a besoin de la morale et de l’éthique, et pour avoir une éthique, il a besoin d’un Créateur, de la foi en l’immortalité et en Dieu. Aussi, la bonne nouvelle de Medjugorje et du christianisme consiste précisément dans la responsabilité devant Dieu, devant soi, devant le monde et devant l’histoire. Medjugorje est un vrai défi et un appel au sens plénier du terme. Le but de l’histoire n’est ni l’évolution ni le progrès, mais la conversion. Si presque toute l’époque post-hégelienne s’était enthousiasmée par l’idée de la montée permanente et du progrès permanent, de la marche vers un lendemain meilleur, alors c’est aujourd’hui que nous cueillons les fruits amers de ce processus. La Bible parle de la conversion et non de l’évolution. Medjugorje repose précisément sur cette idée. Toutes les pseudo-religions, la technique et la science, se sont retournées contre l’homme. C’est pourquoi c’est une terrible erreur de concevoir l’homme comme un être de progrès et de croissance. En tant que personne, il est déjà défini dans la Bible comme un être écartelé entre le Bien et le Mal. Ce ne sont pas le progrès ou la science qui lui donnent l’assurance, mais son choix pour ou contre Dieu. C’est pourquoi on parle tellement de l’humain, menacé de tous côtés. Après une confiance infinie en la raison, nous abordons l’époque de l’irrationnel. C’est pourquoi, face à la crise actuelle de la raison, le salut ne peut se trouver que dans la conversion au mystère qui sauve la raison. Le mystère n’est pas contre la raison, mais s’oriente vers le sens de l’être et la survie de l’univers par la force d’une Intelligence.

Après la chute du socialisme et du communisme, puis après les frustrations produites par l’homo faber, l’homo technicus et ses découvertes technologiques, de nombreuses raisons parlent en faveur de la foi et du retournement vers le Dieu de l’Écriture. Medjugorje, la ville sur le mont, le lieu entre les monts, en est un signe visible. Aujourd’hui, chacun doit faire face au fait que les réalités spirituelles ne sont pas accessibles aux moyens ou aux promesses matériels, qu’il est impossible de parvenir au sens, au bonheur, à la sérénité, à la santé, à la force de la conviction et de la vie par le biais du bien-être ou du progrès matériel ou économique, mais uniquement par l’acceptation de soi en tant que réalité et donnée spirituelles. Le sens du spirituel se réveille progressivement dans nos contemporains ; de nouveaux horizons et de nouveaux espaces s’ouvrent, malgré les appels séducteurs du New Age. Malgré tant de progrès dans le domaine de la technique et la technologie, de la physique et de la chimie, malgré tant de découvertes dans tous les domaines du micro et du macrocosme, de la micro et de l’astrophysique, de la biologie – en ce qui concerne la structure de l’atome et de l’organisme, la science et même la philosophie contemporaine restent impuissantes et sans position claire en ce qui concerne l’être et le sens. Les philosophes Adorno et Horkheimer ont depuis longtemps parlé de l’autodestruction causée par le Siècle des Lumières : elle se produit là où les Lumières ont été élevées au niveau d’un absolu, où uniquement les comptes, les prévisions, le calcul sont pris en compte, où l’on nie la transcendance et l’au-delà du réel. En d’autres termes : une société bâtie sur l’agnosticisme et le matérialisme ne peut survivre à long terme. La déchéance de la morale et de toutes les valeurs en sont les conséquences. Même la philosophie du sens, la logothérapie d’un Viktor Frankl, qui donne des conseils à ceux qui ont perdu tout lien avec la religion et l’Église, ne peut aider ceux qui sont encore dans l’Église et se trouvent devant de grands points d’interrogation. Le premier devoir, c’est la guérison de la morale et l’acceptation des valeurs morales dans la société. L’homme n’a pas la permission de dépasser les limites impunément. L’homme est libre lorsqu’il reconnaît la loi de la liberté comme une sphère qui le détermine. D’une part, nous sommes confrontés à un souci presque pathologique de la santé physique, de l’intégrité physique, de l’écologie, alors que de l’autre règne l’insensibilité générale à l’intégrité morale ; il s’agit en fait de la négation de l’homme en tant qu’homme, de la négation de la liberté et de la dignité de l’homme. Aussi, la question de la révélation et du langage de Dieu dans l’histoire et dans le monde contemporain s’impose de nouveau, et ici Medjugorje est une borne incontournable. Sans Dieu, l’homme n’est qu’une petite roue, un petit élément de l’histoire humaine ; c’est pourquoi Medjugorje nous oblige à retourner aux sources de notre foi, à savoir à la révélation, dont le sommet, le but et le sens est Jésus Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, en qui se cache le mystère de Dieu lui-même. Il est la Parole qui contient tous les trésors de la sagesse et de la science (cf. Col 2,3) et en tant que tel, il révèle le mystère de Dieu lui-même et perce le silence dans lequel Dieu s’enveloppe apparemment.

Si, jusqu’à présent, la scène spirituelle dans le libéralisme occidental et dans le communisme marxiste déniait à la religion tout droit et toute capacité à s’impliquer dans la société, dans les affaires publiques et dans l’avenir commun de l’humanité, nous rencontrons aujourd’hui une tendance différente. Les ébullitions venant de toute part indiquent clairement que la religion - et son expression subjective dans la foi personnelle, au plan personnel et social - est une force qui ne peut être déracinée ni effacée de la conscience humaine, et que le monde ne peut renoncer à sa contribution au développement de l’humanité. Il est impossible de former l’avenir sans la foi. Cependant, il faut éviter tous les pièges des siècles passés et toutes sortes d’appropriation de la foi dans des buts politiques. Le rôle premier de la foi, c’est le souci de l’homme : ici, l’Église est appelée à agir, non par la force de sa puissance mais par la puissance de l’Esprit, non par l’institution mais par le témoignage, non par le droit mais par l’amour, la vie et la souffrance. Elle est appelée à préparer dans les cœurs l’espace pour Dieu qui vient, pour aider ainsi la société à retrouver son identité. L’histoire n’est qu’un grand combat entre la foi et l’incroyance, entre le Bien et le Mal, et nous sommes aujourd’hui les témoins d’un grand drame mondial, où nous ne devons pas hésiter, mais nous opposer à la toute-puissance de la résignation, de l’indifférence, du fatalisme et du désespoir, par la force de la foi, de l’espérance et de l’amour. Rendre les gens capables d’amour, c’est l’impératif du moment. S’opposer à l’opinion publique et aux pouvoirs, comme Jésus devant Pilate, comme le Pape actuel face aux puissants de ce monde. Jésus n’avait pas peur de la croix, alors que le croyant contemporain a même peur de penser à la souffrance et au martyre. Tout le monde, surtout les dignitaires de l’Église, ont peur pour leur image, même s’il ne s’agit que d’un misérable commentaire dans un quotidien, écrit aujourd’hui et oublié le lendemain. Il faut être prêt à prendre des risques et avoir le courage de suivre l’appel de Jésus. A son école à Medjugorje, Marie nous apprend cela au jour le jour.

EN GUISE DE CONCLUSION

Dans toutes ses apparitions, Marie se présente comme une mère pleine d’attention. Chacun peut la comprendre, car son choix repose sur les petits et les pauvres, les bien-aimés de Dieu. Elle est toujours pleine de compassion, elle intercède pour les petits, elle leur donne son cœur et sa voix ; les méprisés et les dévalorisées, les marginalisés de la vie et de la société peuvent trouver chez elle un abri. Elle n’apparaît pas dans les châteaux ni dans les palais épiscopaux, mais dans les montagnes, dans les villages, dans les lieux inaccessibles, et ces partenaires sont les petits et les insignifiants, les bergers.

C’est comme si elle voulait dire : c’est aux petits que revient le devoir d’évangéliser le monde, le clergé, la hiérarchie, les évêques, les prêtres. Ce sont ces processus merveilleux qui se produisent dans presque toutes les apparitions. Il arrive souvent que même les théologiens et les chercheurs expérimentés aillent vers les voyants pour demander un conseil pour leur vie spirituelle. Les petits et les insignifiants deviennent des évangélisateurs. Dans l’histoire de l’Église, les adultes ont même eu recours aux armes comme moyens d’évangélisation (souvenons-nous seulement des pages peu glorieuses de l’évangélisation de l’Amérique Latine), alors que les petits deviennent des évangélisateurs authentiques par la force de leur parole, de leur personne et de leur vie. Ici se réalise la parole de Jésus au sujet des petits et des enfants comme paradigme de son royaume. Si aujourd’hui l’Église se tourne vers les pauvres, si notre ordre franciscain a pris pour priorité l’option des pauvres – car il existe en eux un puissant potentiel d’évangélisation – alors nous pouvons librement dire qu’il est précisément aujourd’hui d’actualité d’apprendre des petits la manière d’être évangélisé et d’évangéliser, et la manière d’aller du centre vers la périphérie. Marie se manifeste en tant que celle qui aime, attentive à tous, prompte à aider et à participer à l’œuvre de la rédemption, comme une Mère pleine de miséricorde. C’est auprès de Marie que se trouve le lieu où l’on entend les gémissements et les soupirs, où l’on console la détresse et la misère, où l’on essuie les larmes et l’on guérit les douleurs.

Le monde ordinaire, les laïcs chrétiens, ne sont plus l’objet de l’évangélisation auquel on impose des pensées et des idées d’en-haut. Les laïcs chrétiens sont devenus les sujets de l’évangélisation, sujets qui reçoivent les inspirations directement par la force de l’Esprit Saint, devenant ainsi porteurs de la Bonne Nouvelle dans le monde. Des sommets jusqu’aux plus petits dans le peuple de Dieu, tous doivent se tourner vers les besoins du monde, surtout des plus petits. Ce n’est qu’ainsi que l’évangélisation deviendra crédible. L’évangélisation n’est pas au service du renforcement des positions de la hiérarchie, mais de la naissance de nouvelles communautés de croyants. C’est l’effet des apparitions de Medjugorje. Partout naissent des communautés vivantes qui vivent dans l’esprit des messages et de l’option mariale, en faveur des plus petits, des pauvres. L’appel de Marie est adressé à tous, et tout le monde doit se mettre, comme Abraham, en route vers l’inconnu, vers les domaines inconnus et non explorés de la foi, guidé par l’appel de Dieu à la liberté.

L’effet des apparitions de Medjugorje n’est pas mesurable. Ce que la raison critique et la philosophie ont détruit, ce que la théologie catholique a grandement négligé, ce que n’osent pas faire les pasteurs de l’Église, l’Esprit de Dieu tente de le faire à travers les apparitions de Marie et ses messages au monde. Il s’agit de la conversion et de la vivification de l’organisme de l’Église, en léthargie dans de nombreuses personnes. Les petits comprennent le langage de la Gospa et l’accueillent. Au cœur du désespoir, l’espérance revient, Dieu est avec son peuple. La foi biblique et les expériences bibliques redeviennent présentes et vivantes. Medjugorje est une relecture de la Bible, Dieu se manifeste comme celui qui guide et qui libère, comme la force du lendemain. Quant à la théologie de la libération, nous en avons fait l’expérience la plus forte à travers Medjugorje. Il en va de même de la théologie du Peuple de Dieu, en tant que porteur du renouveau et de la réalisation du plan de Dieu dans l’histoire. Nous en avons fait l’expérience.

L’œuvre divine du renouveau du monde se fait avec l’aide de Marie. À travers ses apparitions et son intercession, les gens guérissent, la liberté se laisse entrevoir et naît. Le peuple devient conscient de lui-même et ressuscite. Marie devient le symbole créatif pour tout un peuple. Dans ses apparitions, elle rend aux lieux et aux peuples leur dignité originelle, elle se manifeste comme la gardienne de l’héritage reçu et le signe originel de l’inculturation authentique. Elle est en même temps la manifestation du visage maternel de notre Dieu. Là où elle apparaît, l’œuvre créatrice de Dieu dans l’histoire se manifeste. C’est ce qui est écrit au début de l’évangile de Luc et au début des Actes des Apôtres. Là où l’Esprit descend sur Marie, il laisse derrière lui une forme parfaite, dans un cas celle de Jésus Christ, dans l’autre celle de l’Église comme la parfaite œuvre d’art de notre Dieu, comme la réalisation de l’utopie sociale dont Jésus a rêvé, comme un espace de paix, de liberté et d’amour. Ce sont ces vérités existentielles fondamentales dont le monde vit et qui peuvent lui donner le sens et l’avenir. Ici, Medjugorje est un panneau indicateur pour toute une époque au seuil du nouveau millénaire.

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Hans Schotte

LE RÔLE DES MÉDIA DANS LA DIFFUSION DU MESSAGE DE MEDJUGORJE

Chers amis de Medjugorje, chers collaborateurs dans les centres de prière et de vie de Medjugorje, assis devant l’écran de mon ordinateur, je vous adresse mes salutations cordiales par le biais de l’électronique, et vous assure être en communion avec vous tout au long de votre rencontre. Comme vous pouvez l’imaginer, je préférerais être avec vous et aimerais entendre personnellement les conférences sous leurs aspects spirituels et théologiques. Il serait également important pour moi de participer aux échanges qui sont toujours enrichissants, car les pensées et les bonnes résolutions de conversion s’approfondissent souvent à travers la communication, particulièrement lorsque les personnes se rencontrent au nom de Jésus pour mieux comprendre certaines choses. C’est ce que je vous souhaite pour cette rencontre à laquelle malheureusement, je ne peux participer qu’à distance à cause d’une jambe en plâtre à la suite d’un « faux pas » sportif ! Puisque je ne pouvais m’y rendre personnellement, on m’a demandé de formuler quelques pensées susceptibles de favoriser le partage. Je participerai donc volontiers à la rencontre à partir d’ici et par ma modeste contribution. Il est évident qu’en tant que journaliste, je me référerai aux possibilités offertes par le caractère public de notre travail, ainsi qu’à notre relation aux médias, aux journalistes et à nous-mêmes en tant que journalistes.

Les participants de la première session du 21 au 23 juin 1994 à Medjugorje ont exprimé dans l’introduction de leur Déclaration une belle pensée pleine d’espérance à laquelle je peux pleinement m’identifier et que je désire approfondir, à savoir que « nous sommes maintenant davantage conscients de notre responsabilité pour la nouvelle évangélisation ». S’ensuivent les résolutions, auxquelles je reviendrai plus tard. Il est dit que « nous sommes devenus encore plus conscients de notre responsabilité ». La conscience de notre responsabilité, qui existait déjà ou que nous avons découvert à Medjugorje, a été davantage affermie au cours de la Session, et la compréhension de cette responsabilité a grandi. Si ce n’est que pour cette prise de conscience, la rencontre de l’année dernière a été bénéfique, car elle correspond à ce qu’il a été déjà remarqué à Medjugorje : ici, on grandit pas à pas dans la foi et dans la prise de conscience de la responsabilité personnelle pour la réalisation des plans de la Gospa. Elle a un plan, et nous y participons en grandissant et en apprenant à connaître ce plan et la possibilité de notre contribution à sa réalisation. La croissance est en général lente, elle n’est pas explosive, destructrice. La croissance construit. La croissance n’exige rien au-delà des possibilités. Elle se passe généralement avec beaucoup de respect pour ce qui grandit. C’est, entre autres, ce que nous apprenons de la manière aimable, respectueuse et patiente du comportement de la Gospa à notre égard.

Jamais et nulle part au monde Notre Dame n’a parlé aux hommes de cette terre pendant si longtemps et à travers tant de messages. C’est déjà tellement unique que nous en sommes étonnés. Les messages ne sont ni spectaculaires ni sensationnels, ce que nous, journalistes, voudrions et ce à quoi nous sommes habitués sur le marché des informations. De nombreux messages sont des répétitions, des approfondissements, des aides à faire des petits pas - même des plus petits pas - dans la foi, ils sont des appels répétés à faire et vivre enfin ce à quoi la Gospa nous a déjà invités. Elle nous appelle toujours de nouveau à nous adresser à elle pour apprendre la foi, pour trouver Jésus, pour nous trouver nous-mêmes. Tout cela n’a que peu d’intérêt du point de vue journalistique. Les messages ne sont donc pas des nouvelles d’un jour qui peuvent paraître sensationnelles aujourd’hui et sont sans intérêt le lendemain, selon le dicton : « Il n’y a rien de plus vieux que le journal d’hier. » Les messages n’ont justement rien en commun avec cela. Ils sont des soutiens et des aides pour une croissance continuelle, droite et simple. C’était sensationnel quand les apparitions duraient quelques jours de plus qu’en d’autres lieux d’apparition. C’était sensationnel quand elles duraient déjà depuis cinq ans. Pour le dixième anniversaire, c’était à nouveau sensationnel. Peut-être bientôt pour le quinzième anniversaire aussi, s’il a lieu. Entre temps, Medjugorje vit une vie quotidienne à peine intéressante pour les journalistes. C’est le quotidien des millions de petits efforts à prier, à vivre l’Évangile, à aimer le prochain, à rencontrer Jésus dans les petites choses de la vie quotidienne des enfants, des parents, des femmes et des hommes, des voyants et des prêtres. Je crois pouvoir dire qu’aujourd’hui, après plus de 5000 jours d’apparitions, nous ne pouvons pas encore dire quel est finalement le plan de la Gospa et où Dieu veut conduire notre monde ; nous ne pouvons pas encore prendre toute la mesure de l’ampleur des apparitions de Medjugorje, une grande partie demeure un secret caché à notre intelligence. C’est pourquoi nous pouvons paisiblement continuer à grandir !

La Gospa ne demande jamais trop de qui que ce soit. Nous apprenons à Medjugorje qu’elle a beaucoup de patience avec nous. Il est évident que Dieu pourrait changer notre monde en trois jours ou en un instant, pour le rendre tel qu’il le voudrait. Mais nous, les hommes, qu’aurions-nous alors à faire avec tout cela ? Ce « qu’aurions-nous à faire avec tout cela », c’est ce que nous appelons la liberté que Dieu de toute évidence respecte profondément ; nous en faisons l’expérience à Medjugorje. Cette liberté détermine aussi notre comportement envers ceux qui se sont détournés de Dieu, ceux qui ont été blessés intérieurement par d’autres au nom de Dieu, ceux qui se sentent peut-être blessés par Dieu lui-même. Beaucoup se détournent de Dieu et de l’Église à cause des manquements de ceux qui les représentent. Nous savons tous combien il est difficile d’approcher de telles personnes. Comment pouvons-nous connaître les causes des blessures des autres, la raison pour laquelle ils sont tels qu’ils sont, puisque nous ne sommes pas capables de connaître nos propres blessures, et la raison pour laquelle il nous est si difficile d’accepter et de vivre les messages. La Gospa invite ceux qui entendent ses messages à faire toujours les mêmes pas et à recommencer toujours sans se lasser. Nous n’avons aucune raison de nous considérer comme meilleurs, comme plus religieux ou plus ouverts que ceux de notre société qui n’entendent pas, n’ont pas voulu entendre ou n’ont pas encore entendu les messages. Je suis fermement convaincu que les messages seuls - et non pas nous – vont ouvrir le chemin vers Dieu aux hommes et aux femmes de notre société ; seuls les messages vont leur rendre possible le contact avec Dieu et l’expérience de Dieu. C’est Dieu qui nous donne, à nous, de reconnaître son assistance à travers les messages de la Gospa ; c’est aussi Dieu qui touchera avec son amour chaque personne de cette terre et de notre société - quand Il le voudra et comme Il le voudra.

Est-ce que cela veut dire que nous sommes devenus inutiles pour la nouvelle évangélisation ? Quel est notre rôle, si cette évangélisation dépend de Dieu et relève de sa responsabilité, si finalement Lui seul peut approcher les cœurs qui se sont détournés ? Avons-nous encore une responsabilité et quelle est-elle dans notre travail public et dans la diffusion des messages ? Comment donc situer notre responsabilité et notre travail de journaliste ?

Dans les pays d’Europe et d’Amérique, les nouvelles et la transmission des informations ont pris une importance inestimable et inégalée. Il est possible d’affirmer que nous sommes exposés à une immense marée de nouvelles qui déterminent notre vie, qui exercent leur influence sur les décisions dans la vie politique, dans l’industrie et dans la vie sociale, ainsi que dans notre vie privée et personnelle, et cela dans une beaucoup plus grande mesure que ce que nous voulons admettre ou prendre en compte. Les développements technologiques dans le domaine de la transmission électronique des nouvelles, les mass-média, vont développer cette influence d’une manière à peine imaginable, et dans l’avenir le plus immédiat. Dans le domaine des médias – la presse, la télévision, la radio - toute une armée de journalistes s’occupe de nos informations et désinformations quotidiennes. Ils traitent une immense quantité d’informations venues du monde entier pour les réduire à un volume que nous pouvons digérer. Cette sélection est nécessaire. Elle suppose une grande conscience de la responsabilité et représente un pouvoir. Les nouvelles sont un pouvoir et une marchandise qui peut être achetée et avec laquelle on peut faire des affaires. On les achète et on les vend.

Les journalistes, marchands d’informations, contribuent de façon décisive à ce dont on va parler dans une société. Ce sont eux qui transforment les informations en thèmes. Ce qui n’est pas l’objet de l’information ne devient jamais un thème. La chance et le danger, la responsabilité et l’irresponsabilité sont là.

Une marchandise peut plus facilement être vendue quand elle intéresse l’acheteur, quand elle parait unique ou quand elle fait sensation. Personne ne veut acheter des vieux chapeaux. Ce qui est ordinaire dans une information n’est pas vendable, ne passe pas. C’est ainsi qu’une information simple sera gonflée jusqu’aux dimensions du sensationnel, sera plus ou moins modifiée, rendue digeste, embellie, stylisée pour être mieux vendue. La quantité de nouvelles augmente, la confiance en la vérité des nouvelles qui nous sont proposées diminue. En effet, les gens sont de plus en plus critiques et sceptiques envers le contenu d’une nouvelle. Correspond-elle à la vérité ? Ses promesses, sont-elles vraies ? Nous devenons sceptiques non seulement à cause de la quantité des informations et de l’impression d’en être submergés et de ne pas pouvoir les vérifier, mais surtout à cause de la forme, de la formulation et de la crédibilité de son auteur. La question de la véridicité d’une nouvelle devient celle de la crédibilité de l’auteur. Ne sommes-nous pas de plus en plus hésitants à faire confiance aux informations ? Ne devenons-nous pas de plus en plus méfiants quant au contenu de ce que l’on nous propose ? Le contraire est aussi vrai : n’avons-nous pas tendance à attribuer toute la vérité, sans aucun sens critique, à ceux qui ont gagné notre confiance ? On peut remarquer que dans notre société la méfiance va grandissant. À cause des informations inexactes et fausses, les gens se sentent abusés, déçus et blessés dans leur confiance. Ils sont également blessés à cause de la sélection, donc non seulement à cause de ce qui est dit, mais aussi à cause des vérités passées sous silence, non dites. Il faudrait examiner une fois à quel point les gens sont blessés parce que les mass media négligent les bonnes choses qui se passent dans le monde pour favoriser les informations négatives. Comment une société peut-elle développer une attitude positive envers les valeurs humaines et religieuses, si l’on ne parle pas de ce qui est positif, si le positif ne devient pas un thème ? C’est sur ce fond que la question de l’importance de Medjugorje et des messages, ainsi que la forme de leur diffusion et de leur publication me semblent dignes de réflexion.

Il y a exactement un an, le 25 mars 1994, la Gospa nous a donné un message qui, à mon avis, concerne de près cette question : « Chers enfants, aujourd’hui je me réjouis avec vous, et je vous invite à vous ouvrir à moi et à devenir instruments entre mes mains pour le salut du monde. Je désire, petits enfants, que vous tous qui avez senti l’odeur de la sainteté à travers ces messages que je vous donne, vous la portiez à ce monde affamé de Dieu et de l’amour de Dieu. Je vous remercie tous, qui avez répondu si nombreux, et je vous bénis de ma bénédiction maternelle. Merci d’avoir répondu à mon appel. »

Oui, nous ne sommes pas les sauveurs du monde ! Nous sommes des instruments dans ses mains. Le monde n’est pas entre nos mains. Le salut du monde est entre ses mains. Notre part dans cette action, c’est d’être un instrument entre ses mains. Notre importance, n’est-elle pas ainsi bien délimitée ? Nous nous ouvrons à elle pour être des instruments et non pas pour être formés à être des sauveurs.

Je ne trouve dans ce texte aucune réprimande adressée à notre société, aucun reproche de préférer le négatif au positif. Je n’y vois aucune accusation adressée à ceux qui portent la responsabilité dans la diffusion des informations. La Gospa parle plutôt du désir du bien qui anime les hommes, elle parle de ce désir inconscient de la sainteté, de la faim de Dieu et de la faim de l’amour de Dieu, de ce que les hommes ne peuvent guère donner. La Gospa ne parle pas des tendances négatives de l’homme mais voit ce qui est positif ; elle parle de ce point de départ à partir duquel l’homme peut construire son salut, à partir duquel il peut se mettre en marche vers la plénitude de la vie et vers son accomplissement. Un instrument peut-il agir autrement que la main qui le guide ? Pouvons-nous agir d’une autre façon que selon l’exemple qu’elle nous donne, pouvons-nous être querelleurs, agir avec arrogance et en accusant les autres, sans égards et sans amour envers ceux qui sont aimés par la Gospa ?

Le théologien Paul Zulehner, professeur de théologie pastorale à Vienne (Autriche), disait au cours d’une session pour les prêtres à Paderborn (Allemagne) à propos de la ré-évangélisation de ceux qui se sont détournés de l’Église : il ne faudrait surtout pas leur courir après pour les rattraper, car plus vite on leur court après, plus vite ils se sauvent. Je trouve que c’est très vrai : nous devons maîtriser notre zèle et céder la place à Dieu lui-même qui seul sait comment et quand, pour telle ou telle personne, une rencontre avec Dieu peut être possible. Notre devoir est d’aimer les hommes, cela nous donne déjà suffisamment de travail.

En 1984, en travaillant à un film documentaire sur Medjugorje, j’ai eu l’occasion de rencontrer et d’interviewer Mgr. Pavao Žanić, évêque de Mostar, qui a ouvertement exprimé ses doutes et son aversion à ce sujet. À l’époque, je me posais déjà la question de savoir pourquoi, dans sa sagesse et sa providence, Dieu n’a pas prévu pour Mostar un évêque qui faciliterait les apparitions à Medjugorje ? En réfléchissant humainement, on pourrait continuer à se poser cette question même aujourd’hui. Nous réfléchissons d’une manière humaine, et nous ne comprenons pas les relations intérieures, et pourquoi, dans sa liberté, Dieu nous accorde ainsi la liberté. C’est pourquoi nous ne comprenons pas pourquoi les choses sont telles qu’elles sont, pourquoi les gens sont tels qu’ils sont. Pour le plan de salut de Dieu, cela ne joue évidemment aucun rôle. Vicka a peut-être raison dans son expérience, lorsqu’elle dit que la Vierge aime tous les hommes pareillement, même ceux que nous n’aimons pas. Cela aussi est un secret qui ne sera révélé que dans l’autre réalité.

Notre tâche est de suivre l’appel de Marie, de la Gospa, de nous laisser toucher par ses messages. Pourquoi serait-ce différent pour ceux qui n’ont pas fait l’expérience de Medjugorje ? Ils doivent aussi se laisser toucher par l’appel de la Gospa. Elle appelle, et nous n’avons pas à compléter cet appel en nous efforçant de prouver qu’elle apparaît à Medjugorje vraiment et sans aucun doute. Peut-être ne sommes-nous pas capables de lui faire confiance, à savoir qu’elle est en mesure d’appeler ceux que nous considérons comme importants ? On a parfois l’impression que Medjugorje est un terrain de chasse où l’on peut gagner des trophées. Par cette attitude, ne courrons-nous pas le risque de bloquer le chemin à ceux à qui nous voulons transmettre « notre » Medjugorje ?

Ce qui est vraiment intéressant pour le monde d’aujourd’hui, affamé de Dieu, c’est le message que Dieu est Amour, que, malgré les déceptions et les blessures, il aime chacun personnellement et individuellement. Ce dont nous avons besoin, c’est de faire l’expérience de ce qui dort quelque part profondément au fond de nous. Il ne me semble pas nécessaire de chercher à rendre Medjugorje plus intéressant en y ajoutant des petites sensations.

Dans notre ignorance, la possibilité d’atteindre le point recherché que nous visons chez l’autre, pour ne pas dire chez notre victime, afin que Dieu le touche, est assez réduite. Quand on nous aura posé la question, ne suffirait-il pas de dire, tout simplement et sans exagération, comment Dieu nous a touchés nous-mêmes ? Medjugorje ne sera ni mieux ni plus attractif si nous ajoutons nos propres idées aux événements et aux messages. Medjugorje parle pour lui-même à travers le rôle que la Gospa a confié à la paroisse. C’est précisément ce que dit la résolution de l’année dernière : Le « phénomène Medjugorje » n’a pas besoin d’être complété, corrigé ou développé. Medjugorje est authentique. La proximité de la Gospa en est la garantie.

Le travail d’un journaliste comporte toujours le danger de vouloir souligner la véridicité de ce que l’on dit en donnant l’impression de disposer d’informations particulièrement importantes ou exclusives dont d’autres ne disposent pas, d’avoir un accès particulier à la source de l’information, dans le but que l’information soit acceptée. Sur le marché des nouvelles, l’exclusivité est un moyen qui a beaucoup d’effet : se rendre intéressant en tant que personne. Cette proximité de la source d’information est souvent une illusion et presque toujours le signe d’une information faussée et manipulée ou même fausse : plus les lecteurs accordent leur confiance à l’informateur, plus vite la nouvelle se répand. La vérité ou le mensonge ne dépendent pas de la proximité de la source. Des attitudes mentionnées servent souvent l’intérêt personnel de l’informateur, et ne favorisent pas sa disponibilité à être un instrument dans les mains de Dieu. Elles poussent la personne à devenir victime de sa propre passion de la chasse.

Je voudrais attirer l’attention sur un autre danger dans le domaine du travail de caractère public. Malheureusement, l’expérience montre que les fausses informations se répandent plus vite que les vraies, peut-être parce que les hommes sont plus ouverts à l’extraordinaire qu’à l’ordinaire. Tous ceux qui travaillent dans le domaine de l’information, les journalistes comme les autres, portent ici une lourde responsabilité. C’est pourquoi je voudrais proposer aux différents Centres de Medjugorje dans le monde d’essayer d’attirer ou de former des journalistes suffisamment qualifiés qui possèdent bien leur métier. La diffusion de la foi et des messages me semble au moins aussi importante, sinon plus importante que la diffusion d’autres nouvelles, assurée en général par des spécialistes très qualifiés.

Je reviendrai encore une fois sur le Message du 25 mars 1994. « Je désire, petits enfants, que vous tous qui avez senti l’odeur de la sainteté à travers ces messages que je vous donne, vous la portiez à ce monde affamé de Dieu et de l’amour de Dieu. » Il y est dit : « Tous ». La Gospa parle de tous et pense à tous ceux qui ont connu les messages et qui y ont reconnu leur responsabilité. Tous n’ont pas affaire au public. Mais tous font partie de la vie publique. De nombreuses personnes de notre entourage nous observeront, pour savoir si Medjugorje pourrait être intéressant pour eux. Nous devrons d’autant plus accueillir l’idée de l’instrument, en laissant transparaître la main qui le guide. L’instrument ne doit pas détourner l’attention de la main qui le guide. C’est utile aussi en ce qui concerne la spiritualité de Medjugorje. Nous sommes responsables de la transparence de la spiritualité de Medjugorje. Par les apparitions et les messages, Dieu parle aujourd’hui d’une façon moderne et contemporaine à notre temps qui comporte tant de dangers pour l’humanité, tant de difficultés dans l’Église, tant de conflits inextricables entre les peuples. La Gospa parle du « salut du monde » nécessaire et voulu par Dieu. Il ne s’agit pas d’une apocalypse mais d’un appel à un nouveau début, au renouveau du monde. Nous devons nous efforcer de distinguer le phénomène Medjugorje d’autres phénomènes, ne pas le confondre avec d’autres phénomènes, dans le sens d’une spiritualité du renouveau de notre temps, et non d’une restauration des temps anciens. Nous, en tant que « personnages publics », portons la responsabilité de rendre possible la continuité du développement de la spiritualité authentique de Medjugorje : il faut que les messages soient mis au premier plan, et non nos désirs, que nous aimerions mettre en lien avec Medjugorje. Au moment où les événements ne sont pas clos, il me semble peu opportun d’incorporer les Messages à la théologie du salut de l’Église. La Gospa a choisi ce lieu pour dire ce qu’elle y dit. Elle aurait pu faire autrement. Elle a choisi Medjugorje tel qu’il est. Nous devons le prendre au sérieux.

Ce qui ressort dans ce message, c’est que pour une nouvelle époque et une nouvelle Église Dieu veut des personnes renouvelées. Medjugorje n’est pas, je le crois fermement, une simple correction cosmétique de l’Église et du monde en difficulté. Dans les messages, il est souvent répété que l’homme est appelé à la plénitude de la vie avec Dieu. L’Église recevra un nouveau visage et une nouvelle figure. Nous sommes appelés à y collaborer en tant qu’instruments, nous devons repenser et changer notre travail de journaliste avec ses habitudes, ses usages et ses lois. Nous devons redécouvrir la dignité de la personne qui reçoit les informations et, par amour pour elle, transmettre des vérités qui peuvent construire sa personnalité et lui rendre possible un contact avec Dieu. Nous avons à transmettre des nouvelles qui attisent la faim de Dieu et de son amour, et qui la rassasient. Où peuvent se développer des journalistes prêts à cette responsabilité, sinon là où l’on respire l’odeur de la sainteté ?

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Sr. Isabel Bettwy

COMMENT PRÉPARER LES PÈLERINS À UN PÉLERINAGE À MEDJUGORJE

Je suis très honorée d’être avec vous aujourd’hui, et je vous salue sous le manteau de l’amour de notre Mère. Je souhaite vous parler en tant que l’une d’entre vous, un guide de groupes de pèlerins, une amie, quelqu’un qui, comme vous, désire vivre les messages de la Gospa et aider les autres à faire de même. Je viens à Medjugorje depuis octobre 1983, et pendant ces 12 années j’y suis venue 55 fois. Quand j’y suis venue pour la première fois, je ne m’attendais pas à y revenir, mais Dieu avait un autre projet. J’aurais dû pressentir quelque chose, puisque ma première visite était une surprise, un cadeau du Seigneur et une réponse à son appel.

J’ai entendu parler de Medjugorje pour la première fois par le père John Bertolucci, venu à Medjugorje fin 1982 - début 1983 pour faire son premier documentaire sur les événements qui se produisaient dans ce petit village inconnu situé parmi les collines, dont on parlait. Dès le début j’y ai cru. Pourquoi Notre Dame n’apparaîtrait-elle pas de nos jours ? J’ai grandi à l’époque d’après Fatima et j’ai toujours cru aux apparitions de Notre Dame et à ses messages, sans jamais les avoir étudiés ni explorés. J’ai simplement cru.

Après le P. John, le P. Michael Scanlan, président de l’Université où j’avais travaillé, est venu à Medjugorje. Je lui ai demandé de prier pour moi et de demander aux voyants de prier pour moi, particulièrement pour les principaux domaines de péché dans ma vie. Je savais que cette pensée venait de Dieu, parce que je n’avais jamais auparavant utilisé ces mots, « les principaux domaines de péché dans ma vie », et je ne les avais jamais entendus prononcés par qui que ce soit. À son retour, le P. Michael Scanlan m’a donné une réponse qu’il croyait venir de Dieu, et cette parole a commencé à changer ma vie.

Quelques semaines plus tard, alors que je travaillais à mon bureau sur un projet de collecte d’argent, j’ai entendu : « Tu devrais aller à Medjugorje, bientôt ». J’ai pensé que quelqu’un était venu dans mon bureau et j’ai levé les yeux en disant : « Bientôt » ? Il n’y avait personne dans la pièce. Ma secrétaire m’a entendu dire : « Bientôt », et elle est entrée dans la pièce pour voir si je l’avais appelée. Plus tard, elle m’a dit que mon visage était aussi pâle que le mur derrière moi. J’étais sous le choc, parce que la voix était si réelle ! Elle n’était pas dans ma tête, et pourtant il n’y avait personne dans la pièce ! C’était en juin, et en octobre je me retrouvais à Medjugorje. Chaque centime pour le voyage m’est tombé du ciel. Je n’ai demandé d’argent à personne, et je ne sais pas comment les gens ont su qu’il me fallait 1500 dollars pour le voyage. Le jour de mon départ, j’avais 2020 dollars. Ce premier voyage fut pour moi une excellente occasion d’apprendre beaucoup de choses sur les événements et sur les voyants, puisque j’étais avec le P. Joe Pelletier qui les avait interviewés pour un livre qu’il écrivait sur Medjugorje. Lors de cette première visite, j’ai senti que quelque chose allait changer dans ma vie. Je ne savais pas quoi, mais quelque chose allait se passer.

Au retour, j’ai mis à la banque les 500 dollars qui me restaient, parce qu’ils m’avaient été donnés pour ce voyage, et je pensais ne pas avoir le droit de les utiliser pour autre chose. C’était en octobre, et en février j’ai eu un coup de téléphone d’une personne que je ne connaissais que par quelques conversations téléphoniques. Il me disait que pendant la prière du chapelet la veille au soir, lui-même et sa femme avaient eu la même pensée : qu’ils devraient m’envoyer de l’argent pour mon prochain voyage à Medjugorje ! Quel voyage ? Je n’avais rien prévu. Il m’a simplement dit que je devrais y penser, car je devrais y aller de nouveau.

En peu de temps, plusieurs personnes m’ont demandé de les emmener à Medjugorje, et mon premier groupe de pèlerins était formé. C’était en mai 1984. Une fois de plus, avec l’argent que le couple m’avait envoyé et avec ce que j’avais à la banque, j’avais assez pour le voyage. Nous étions 5 femmes. Nous sommes venues, nous avons cru et nous sommes revenues. Quand j’ai vu l’impact de Medjugorje sur leurs vies, j’étais convaincue que je devais emmener d’autres personnes à Medjugorje, afin qu’elles fassent l’expérience de la présence et de l’intercession de Notre-Dame. En ce lieu, des grâces opéraient des changements dans la vie des personnes.

Comme j’étais directrice du programme de voyages à l’université où je travaillais, il semblait naturel que je prépare un pèlerinage à Medjugorje. À l’époque, à cause des décisions prises par l’Église, nous n’avions pas le droit d’appeler cela « pèlerinage » ; c’étaient donc des « voyages, donnant l’occasion à chacun de venir faire sa propre expérience de Medjugorje ». Avant d’organiser le pèlerinage, je suis retournée à Medjugorje avec le couple qui m’avait envoyé de l’argent pour mon deuxième voyage. Au mois de juillet 1985, j’y ai emmené mon premier groupe de pèlerins. Nous étions 188. Nous étions logés à Neum, au bord de la mer, parce que dans les environs de Medjugorje il n’y avait pas de place pour un si grand groupe. Chaque jour, nous partions de l’hôtel tôt le matin pour y revenir tard le soir. Le trajet durait plus d’une heure, et presque tous les jours nous dînions à minuit. À l’époque, il n’y avait pas de toilettes ni de restaurants à Medjugorje. Chaque jour nous apportions avec nous le déjeuner préparé à l’hôtel. C’était un vrai pèlerinage. Tout cela était des occasions de faire des sacrifices et d’offrir ces inconvénients au Seigneur. C’était des pénitences naturelles. Je dois dire que ce fut un des meilleurs pèlerinages que j’ai jamais accompagnés. Les gens étaient formidables, et la générosité de Dieu plus formidable encore.

Ce voyage était le début d’une série de pèlerinages qui nous conduisent au jour d’aujourd’hui et à la raison pour laquelle je me tiens devant vous. J’étais probablement le pionnier parmi les organisateurs de pèlerinages à Medjugorje, et pour les Etats-Unis, je devenais très vite l’inofficielle « officielle » source d’informations. Grâce à une personne qui m’a offert sa carte de téléphone pour appeler Medjugorje, j’ai souvent pu vérifier les rumeurs qui se répandaient sans cesse aux Etats-Unis. J’ai pu ainsi régulièrement téléphoner, jusqu’au début de cette année, quand mes factures de téléphone ne pouvaient plus être prises en charge, puisque la situation matérielle de la personne qui les payaient avait changé. Désormais, je ne peux plus appeler aussi souvent que je le voudrais.

Dès le début de ces voyages à Medjugorje, j’ai compris que j’avais une très grande responsabilité envers les gens que j’y emmenais. Cette responsabilité commence dès avant notre rencontre à l’aéroport qui marque le début du voyage. J’ai compris que, hormis d’envoyer la liste des choses à prendre et à ne pas prendre et de calmer les peurs concernant un voyage dans un pays communiste, il fallait faire une préparation spirituelle, plus importante que toute autre préparation. Au cours des années, j’ai formulé certains points-clés que je transmets aux pèlerins par écrit, puisqu’ils viennent des quatre coins du pays et que nous ne nous voyons pas avant le début du voyage. Notre première rencontre a lieu généralement à l’aéroport.

On m’a demandé de partager certaines de ces choses avec vous aujourd’hui. Je ne considère pas que ma manière de faire soit la seule ou la meilleure façon d’accompagner les groupes. Néanmoins, ces idées ont été testées et utilisées avec succès pendant de nombreuses années.

En tant qu’animateurs, nous avons la responsabilité de guider et de diriger les gens, afin qu’ils fassent la meilleure expérience spirituelle au cours du pèlerinage. Comme quelqu’un l’a dit hier : nous devons être des bergers. Pour ce faire, j’ai appris la nécessité de « laisser faire ». Nous venons des Etats-Unis, un pays très technologique, où nous aimons bien organiser les choses et savoir d’avance exactement ce qui va se passer. Eh bien, j’ai appris que ce n’est pas ainsi à Medjugorje, ni ailleurs, d’ailleurs, en la matière. Les voyages en pays étrangers comportent toujours des différences culturelles, et nous devons les accepter. En venant à Medjugorje, nous venons dans un pays qui ne voit pas la vie de même manière que nous. Ainsi, dans les premiers temps, à cause des restrictions imposées par le gouvernement et par l’évêque, beaucoup de choses étaient impossibles à réaliser pour les prêtres et les religieuses. Il fallait qu’on apprenne à ne pas vouloir « organiser » Medjugorje, même pas dans nos têtes, car cela pouvait empêcher l’œuvre que Dieu voulait opérer en nous pendant le pèlerinage. J’ai appris cela au cours de mes trois premiers voyages, et cela se confirme de plus en plus. J’ai compris que je ne venais pas à Medjugorje pour changer des choses en fonction de mes idées ou de ma manière de faire, mais pour entrer dans la grâce de Dieu et en faire l’expérience, à travers la présence de Notre-Dame. Je dis cela à mes pèlerins, parce que j’ai appris que de nombreux Américains ont cette même attitude, et que cela peut devenir une grande distraction.

Je pourrais vous donner de nombreux exemples pour illustrer cela, mais je partagerai avec vous un seul événement qui m’a beaucoup impressionné. La nuit de la Vigile Pascale, nous étions serrés les uns contre les autres dans l’église : à l’époque, les portes latérales n’existaient pas encore et il n’y avait pas beaucoup d’air. Le passage central était aussi comble que les bas-côtés, et je me demandais comment le prêtre allait porter le cierge pascal jusqu’à l’autel, conformément à la liturgie. Tout à coup, les lumières se sont éteintes, et j’ai entendu la voix du P. Tomislav résonner depuis le fond de l’église, puis depuis le milieu du passage central, et bien vite depuis l’autel. Je ne sais vraiment pas comment lui et les autres ont réussi à se frayer le chemin à travers la foule et à monter. Je pensais à Dieu qui divisait la Mer Rouge, afin que les Israélites puissent passer. Le lendemain, j’ai dit au Père : « ça devait être difficile hier soir, de traverser la nef dans la foule. » Il m’a regardée en disant : « Quelle foule ? » C’est alors que j’ai su que nous voyions les choses très différemment, car je n’aurais jamais pu imaginer ce que je voyais se passer ici. Vous savez, aux Etats-Unis on n’aurait jamais permis à une seule personne de rester dans le passage central. On aurait tout vidé pour les prêtres et la procession. Mais on ne fait pas cela à Medjugorje !

Il est donc très important de se « laisser faire » dès le début du voyage. Souvent, les horaires des vols n’étaient pas respectés et nous avions à nous adapter même avant d’arriver à Medjugorje. Nous avions parfois de longues heures d’attente dans les aéroports. Des choses inattendues nous arrivaient souvent. Nous ne savions jamais si nous allions faire l’enregistrement en groupe ou individuellement. En apprenant à se laisser faire, nous nous sommes rendus disponibles à la grâce de Dieu et aux inspirations du Saint-Esprit. Sans attentes, sans déceptions, avec plein de surprises de la part de l’Esprit Saint. Dès la première lettre envoyée aux pèlerins, je soulignais cette nécessité. Je leur demandais de prier pour obtenir la grâce de se laisser faire, et de prier pour tous ceux qui seraient avec nous en voyage. Je trouve que cela fait une grande différence au niveau de la compatibilité des personnes et de l’accueil mutuel dans le groupe. Quand on prie pour quelqu’un, on le voit différemment.

Je souligne aussi l’importance de se laisser faire pendant tout le séjour au village. Quand les gens commençaient à y venir en plus grand nombre ou pour la deuxième ou la troisième fois, j’ai compris à quel point il était important de les aider à voir chaque voyage comme une nouvelle expérience, à ne pas venir en attendant que ce voyage ressemble au voyage d’une autre personne ou au voyage précédent. Il n’y a pas deux jours ni deux voyages semblables à Medjugorje. Les occasions sont différentes, les personnes à rencontrer sont différentes, les moments de grâce sont différents. Nous devons être souples dans notre emploi de temps et modifier le programme en un instant si nous apprenons que quelque chose se passe : par exemple, une rencontre du groupe de prière sur la montagne ou une conférence donnée par un prêtre à l’église.

Cette idée nous introduit à une autre dimension de la préparation, à savoir que le pèlerinage est un voyage, un voyage spirituel vers l’inconnu, qui implique des incertitudes. Le pèlerinage entrepris n’est qu’une partie de notre voyage vers le Seigneur, du cheminement qui dure toute une vie. Les jours que nous passons ensemble sont un temps condensé où nous sommes loin de nos tâches et de nos distractions quotidiennes, où nous avons l’occasion d’être tout près de Jésus et de Marie. C’est le temps pour recevoir les grâces disponibles à Medjugorje, tout particulièrement celle de réfléchir sur sa vie et de faire une bonne confession. C’est le temps de recevoir la miséricorde du Seigneur Jésus et d’être miséricordieux avec les autres.

Les gens demandent toujours : « Comment être miséricordieux avec les autres ? » Ma réponse est très simple : « En étant présent aux personnes du groupe et à leurs besoins, en étant à l’heure, en évitant la critique et les paroles désagréables à propos des participants du voyage, en évitant de monopoliser la conversation, etc. »

Un voyage est une merveilleuse occasion pour nous voir comme Dieu nous voit et pour faire des changements dans nos vies - si nous faisons un bon usage des nombreux moments de grâce que le Seigneur pourvoit. Il peut se servir de tous et de tout pour nous parler, si nous sommes ouverts pour l’écouter.

Dieu a un plan pour chaque personne qui fait partie du voyage, mais beaucoup de personnes ne savent pas comment entendre Dieu qui leur parle. Les gens arrivent parfois tellement chargés d’intentions de prière et de demandes qu’ils ne prennent pas de temps pour eux-mêmes. Ceci peut être un piège de Satan pour paralyser la grâce que Dieu veut nous accorder. C’est pourquoi, le tout premier jour, je demande à tout le monde de déposer leurs demandes, leurs soucis, leurs fardeaux et leurs requêtes au pied de la croix, aux pieds de Marie, afin qu’elle prie pour eux et les donne à Jésus. Je demande également à chaque personne de prier chaque jour aux intentions des autres. Ainsi, sachant que notre Mère s’occupe de nous, nous pouvons tous être dégagés du poids de ces intentions et libres pour écouter le Seigneur.

Chaque jour après le petit déjeuner, je présente ce que j’appelle « la parole pour la journée ». Le premier matin, je dis que Dieu a une parole pour chacun, un petit cadeau tout spécial, et qu’ils doivent commencer à Lui demander cette parole. Je crois que personne ne vient à Medjugorje par hasard. Chaque personne est appelée par le Seigneur qui veut bénir chacun de manière spéciale. Cette parole peut venir à Medjugorje, au retour, ou même après le retour à la maison, lorsqu’elle devient claire. Ce n’est pas nécessairement quelque chose de spectaculaire ; c’est peut-être seulement un tendre effleurement de l’amour de Dieu, peut être la prise de conscience que quelque chose doit changer dans la vie, dans une relation ou dans la famille, peut être l’appel à une conversion plus profonde ou l’expérience de l’amour de Dieu à travers un autre pèlerin.

Je crois que Dieu a un plan pour le pèlerinage et qu’il veut donner à chaque personne sa grâce particulière.

Chaque soir, au dîner, nous partageons les événements de la journée, et les gens sont intéressés d’entendre les témoignages des uns et des autres. Ils peuvent poser des questions, et s’il y a des malentendus, je peux les clarifier.

Je dis également aux pèlerins qu’ils ne sont pas venus à Medjugorje pour s’occuper des besoins de tout le monde ou pour servir les autres au détriment de leur propre pèlerinage. C’est le problème de certaines personnes qui pensent devoir s’occuper des soucis, des difficultés et des problèmes de tous ceux qu’elles rencontrent. Cela devient une distraction et une manière d’éviter de se mettre à l’écoute du Seigneur. Oui, ils doivent être aimables et serviables, mais ils ne doivent pas se laisser absorber par cela, au point de manquer de recevoir le don que Dieu veut leur faire.

Le deuxième matin, je leur propose de poser un regard sur leur vie, leurs relations et leurs engagements, pour voir s’il y a quelque chose qui les empêche de grandir en sainteté ou de recevoir le don de Dieu. Souvent, les lectures de la messe du jour donnent le thème parfaitement adapté pour la journée. (Par ex. aujourd’hui : « Seigneur, que ta lumière me guide et chasse mes ténèbres. »)

Le troisième jour, je souligne la nécessité de se confesser. D’après mon expérience, il y a une grâce particulière à Medjugorje, et c’est la grâce de faire une très bonne confession. De nombreuses personnes ont dit que, bien qu’elles s’étaient confessées juste avant le voyage, c’est à Medjugorje qu’elles étaient rendues capables de se libérer d’un péché ou d’un problème qu’elles avaient refoulé des années auparavant, d’une pierre d’achoppement qui empêchait leur croissance en sainteté, d’une habitude vicieuse qu’elles détestaient vraiment.

C’est ainsi que, pour chaque jour de la semaine, je demande une parole du Seigneur que je partage avec le groupe. Le temps liturgique influe souvent sur notre programme spirituel à Medjugorje. J’essaie d’être ouverte à l’Esprit Saint pour qu’il me guide en ce que je prépare pour les gens, car je crois que Dieu a un plan pour chaque groupe.

Les gens ont souvent beaucoup de questions et j’essaie de répondre du mieux possible. Ils arrivent avec des informations et idées fausses sur Medjugorje, sur les voyants etc. Il est important de leur donner l’occasion de poser leurs questions et de leur donner des informations correctes. C’est dans le car, sur la route de Split ou de Dubrovnik, que je donne d’habitude des informations sur les voyants, sur les messages etc. Pendant le séjour à Medjugorje, j’encourage les gens à prendre du temps pour eux-mêmes, pour être seuls avec Marie et avec Jésus, à aller à l’écart dans un lieu calme pour s’asseoir devant le Seigneur en disant : « Me voici, je viens pour faire ta volonté. » Je crois que c’est important, même pour les couples, de se séparer pour passer du temps seuls, en prière. Puisque maintenant il y a une Chapelle de l’Adoration, je les encourage à passer aussi du temps devant le Saint Sacrement, à s’asseoir simplement là, sans parler, à regarder le Seigneur, pour lui permettre de rayonner son amour dans leurs vies. S’ils ont besoin de se reposer, je les encourage à le faire, particulièrement les deux premiers jours à Medjugorje. Je prêche l’évangile du bon sens. Dieu nous a donné le bon sens, il attend que nous l’utilisions, et il nous bénit quand nous le faisons.

Je pense que Dieu agit rarement deux fois de la même façon. Il agit avec nous individuellement et de manière unique. Parfois il parle lorsque nous faisons le Chemin de Croix en montant sur le Križevac, parfois lorsque nous montons en silence sur la Colline des Apparitions, parfois lorsque nous attendons devant l’église le début des prières du soir. Je demande toujours à mes groupes de monter en silence, de passer du temps en silence sur les montagnes, et de descendre en silence. Le sacrifice de ne pas se parler les uns aux autres peut donner à Dieu une bonne occasion de révéler les situations ou les choses qu’il veut corriger ou changer dans nos vies ; c’est peut-être une occasion pour nous de faire l’expérience du toucher plein de tendresse de Sa présence et de Son amour. J’encourage le silence pour deux raisons : d’abord pour des raisons physiques, ensuite pour marcher ensemble avec Notre-Dame et pour méditer. Plus d’une fois, les pèlerins m’ont dit que, pendant le Chemin de Croix, ils s’étaient souvenus de quelqu’un à qui ils n’avaient pas pardonné quelque chose dans le passé. Cette pensée est un moment de grâce pour eux, afin qu’ils pardonnent à cette personne ou se réconcilient avec elle, au moins devant Dieu. Il n’est pas toujours possible d’aller trouver une personne pour demander son pardon ou pour le lui accorder, mais on peut toujours aller devant le Seigneur pour le faire.

J’encourage les pèlerins à bénéficier de tout ce qui leur est offert : aller à l’église pour écouter les prêtres qui y parlent l’après-midi, visiter les voyants et prier avec eux. J’essaie de les aider à prendre une juste attitude envers toutes choses, même envers les boutiques et les restaurants : il est bon de les utiliser, mais il ne faut pas se laisser absorber. Quand nous visitons les voyants, j’explique aux pèlerins que ce ne sont pas des théologiens. Nous leur rendons visite, afin qu’ils nous transmettent les messages les plus importants, et pour prier avec eux. Ils ne sont pas des « dieux », ils ne sont que des instruments dans la main de Dieu. La raison principale du pèlerinage n’est pas de voir les voyants, ni de voir le soleil danser ni les chapelets changer de couleur. Dieu peut utiliser ces choses pour nous communiquer sa grâce, mais elles ne devraient pas être la raison majeure de notre visite. Je trouve que le rosaire du soir, la messe et les prières après la messe sont très importants pour l’expérience de Medjugorje. Même si cette messe est dite dans une langue inconnue, j’encourage mes groupes à venir à l’église et à y participer. Le temps de l’homélie est une excellente occasion pour la prière personnelle. Je les encourage à en bénéficier. Dans ma lettre avant le pèlerinage, je leur propose aussi d’emprunter un Missel dans leur paroisse, qui peut les aider à lire en anglais les prières de la messe dite en croate. Comme je l’ai dit auparavant, il est important que nous, en tant qu’animateurs, donnions l’exemple et participions nous-mêmes. Si nous sommes venus à Medjugorje avec un deuxième agenda, nous devrions peut-être réfléchir à ce que nous faisons, et peut-être ne plus le faire. Trop souvent j’ai entendu les gens se plaindre de ne jamais voir leurs animateurs dans l’église ou au rosaire. Le bon berger est présent auprès de son troupeau.

Comme vous le savez, de nombreuses personnes font l’expérience d’une grande paix à Medjugorje. Certains redoutent le retour à la maison, parce qu’ils vont y retrouver la même situation qu’ils ont laissée. Un ami avait l’habitude de dire : « Pendant le pèlerinage ou la conférence, tout est «"Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit", mais quand on revient chez soi, c’est "Comme il était au commencement, maintenant et toujours…". » Il n’en est pas toujours ainsi. Je dois toujours mettre mes groupes en garde contre Satan qui voudrait les priver de la paix. Il est vrai que les situations chez eux n’ont pas changé, mais eux, ils ont changé. Le résultat de ce pèlerinage, c’est que désormais ils ont de nouveaux moyens pour affronter leurs problèmes. Au retour, on peut être presque sûr qu’il y aura un retard à l’aéroport qui peut causer des soucis à certains. Mais ce n’est qu’une ruse de Satan, et nous ne devons pas permettre que ces choses nous dérangent. Satan apprend vite qu’avec nous il n’aura pas de succès, et il s’en va.

Le dernier jour, en quittant Medjugorje, en général après le chapelet, je dis qu’en réalité le vrai pèlerinage commence maintenant, lorsque nous retournons à notre vie quotidienne. C’est maintenant que nous devons vivre les messages de la Vierge de la meilleure façon, selon notre situation familiale. Je les mets en garde contre le danger de prendre les choses trop à la lettre, au risque de créer des difficultés dans leurs familles à cause d’éventuels changements qu’ils voudront instaurer. Il faut plutôt aller doucement, commencer par soi-même, inviter les autres à prier ou à jeûner, mais sans jamais imposer quoi que ce soit, car cela ne durerait pas ! Il faut donner l’exemple. Il faut donner la chance à Dieu de travailler dans nos vies et d’accomplir une vraie et durable conversion. Ce qui va faire changer les autres, c’est le changement qu’ils verront en nous. Quand les autres voient que nous sommes devenus plus aimables, plus patients, plus serviables, que nos vies sont devenues plus paisibles et plus riches, ils désirent la même chose. « Voyez comment ils s’aiment ! » Quand les gens commencent à nous poser des questions, nous avons la parfaite occasion de partager les messages de la Vierge et nos expériences du pèlerinage. Cependant, il ne faut pas oublier que les paroles qui ne sont pas soutenues par des changements dans nos vies n’ont pas d’effet positif sur les autres, surtout sur nos familles.

Au retour, j’envoie une lettre à chacun avec un compte-rendu du voyage, je les encourage à vivre les messages de la Vierge, à vivre les grâces reçues et à faire les changements auxquels ils avaient pensé. Je leur dis aussi qu’ils doivent être patients avec Dieu, commencer à vivre les messages dans de petites choses, être plus aimables en famille et au travail. Ils connaîtront des chutes, comme tout le monde, mais il faut recommencer chaque jour. Dieu ne cherche pas le succès, Il cherche la bonne volonté, et il nous donne toujours la grâce de recommencer. Je joins à ma lettre un exemplaire de notre revue, donnant la possibilité de recevoir le message mensuel.

Au cours de toutes ces années, j’ai compris que, puisque nous, les Américains, venons d’une société orientée vers l’activité, beaucoup de personnes, après leur expérience de Medjugorje, sans se rendre compte de la nécessité d’une conversion plus profonde, pensent être appelées à fonder un centre, une revue ou un groupe de travail. Je dis aux gens de s’arrêter, d’écouter, de prendre du temps, afin que l’expérience, souvent émouvante, s’enracine avant qu’ils ne commencent à « faire » quelque chose. Je les encourage à laisser à Dieu et à la Vierge le temps de continuer leur travail en eux, le temps que le changement qui s’est opéré en eux mûrisse. Quand ils ont mûri et quand les changements se sont enracinés et sont devenus partie intégrante de leur vie quotidienne, alors, s’ils veulent vraiment faire quelque chose, qu’ils y réfléchissent. De nombreuses actions commencées n’ont pas duré, simplement parce que les personnes ont agi trop vite, sans avoir posé leurs propres fondements spirituels.

Je suis certaine que vous tous, en tant qu’accompagnateurs, avez de nombreuses expériences à partager avec nous, et que ceux qui guident les pèlerinages ont certainement d’excellents programmes. Mon intention, en partageant avec vous, n’était pas d’essayer de vous faire adopter ma façon de faire, mais plutôt de souligner la responsabilité que nous, les accompagnateurs, avons à l’égard des personnes que nous avons emmenées à Medjugorje et à l’égard de leur cheminement avec le Seigneur et avec la Sainte Vierge. Notre exemple, notre équilibre et la paix dans nos vies parleront avec plus d’éloquence que des livres. Je vous encourage donc à prier beaucoup, à chercher un bon accompagnement pour vos groupes et à partager avec eux tout ce que Dieu vous donne.

 

R. Schnackenburg, Neutestamentliche Theologie, Der Stand der Forschung, München, 1965, p.12

W. Kasper, Einführung in den Glauben, Meinz, 3, 1973, p. 10

Cité selon J. Ratzinger (ed.) Die Frage nach Gott, Questiones disputatae 56, Herder, 1973, p. 5

H. U. von Balthasar, Klarstellungen, Herdertaschenbücherei 393, Freiburg, 1971, p. 70

Cf.: L. Scheffczyk, Grundlagen von Erscheinungen und Prophezeiungen, dans : Fatimakongress in Augsburg 1981. Ein Bericht zesammengestellt von P. Luis Kondor SVD, Druckerei : Grofica Amondina – Torres Novas – Portugal, 1982, p.16-40, 17

T. J. Šagi-Bunić, Vrijeme suodgovornosti 1, Zagreb, 1981, p. 137

L. Scheffczyk, Ibid, 19

K. Rahner, Visionen und Prophezeiungen, Questiones disputatae 4, Freiburg, 1958, 26

Cf. : R. Brajčić, Što se danas zbiva oko Marije ?, O@ 5 (1976), 402-420, p. 405 ss

K. Rahner, ibid, p. 9

K. Rahner, Visionen und Prophezeiungen, p. 43

K. Rahner, ibid, p. 43, surtout notes 43 ; cf. aussi A. Kusić, Parapsihologija u svjetlu znanosti i teologije (II), CuS 3 (1982), 220-231, p. 228 ss

K. Rahner, ibid, p. 46

K. Rahner, ibid, p. 74

K. Rahner, ibid, p. 74, surtout note 96

L. Scheffczyk, ibid, p. 27

R. Schnackenburg, Die Johannesbriefen, HThK zNT XIII/3, Freiburg 1970, 219 ss

H. U. von Balthasar, Vorerwagungen, p 330.

Marialis Cultus, N° 28

Cf. M. Schmauss, Mariologie (Katholische Dogmatik V,) München, 1955, p. 248 ; O. Semmelroth, Maria, dans : Handbuch teologischer Grundbegriffe II, München, 1963, p. 120 ; B. Duda, Marija i božansko promaknuće čovjeka, BS 1 (1974), p. 221

K. Lehman – A. Raffelt (ed.), Rechenschaft des Glaubens, K. Rahner – Lesebuch, Freiburg/Zürich, 1979, p. 309 ss

T. J. Šagi Bunić, Vrijeme suodgovornosti 1, Zagreb, 1981, p. 317

Cf. B. Duda, ibid, p. 231

L. Scheffczyk, ibid, p. 35

L. Scheffczyk, ibid, p. 36

Ibid, p. 37

Ibid, p. 38 ; Cf. B. Duda, ibid, p. 231

R. Brajčić, Što se danas zbiva oko Marije ?, O@ 5 (1976), p. 405 ss